Réforme des conservatoires, c’est (re)parti ?

10/01/2019

À peine plus de quinze jours après son audition devant la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication1, Sylviane TARSOT-GILLERY, Directrice générale de la création artistique du ministère de la culture vient préciser, dans une interview à la Lettre du Musicien, les grands principes du projet de réforme des critères de classement des conservatoires qui a été mise en chantier à l’automne dernier par les services de l’État.

Ce projet de réforme fait suite à la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP) du 7 juillet 20162, ainsi qu’au retour de l’État, cette même année, dans le financement de certains établissements d’enseignement artistique.

Ne manquant pas de rappeler à maintes reprises que ces établissements relèvent de la responsabilité des collectivités territoriales, ce qui sous-entend qu’elles doivent en assumer la majeure partie du financement, la nouvelle directrice de la direction générale de la création artistique (DGCA) entend cependant positionner le ministère en appui des collectivités, tant sur le plan financier — près de 21 millions d’euros sont consacrés aux conservatoires —, que sur celui du contrôle pédagogique de ces derniers3.

Sylviane TARSOT-GILLERY constate « les évolutions importantes en matière d’innovations pédagogiques et d’ouverture à de nouveaux publics […] de certains conservatoires », que ce soit en matière de diversification des publics, des esthétiques et des modèles pédagogiques avec, pour objectif « [la] démocra­tisation culturelle et [la] formation des artistes de demain ».

Ces évolutions importantes dont il est en effet grand temps de prendre acte au niveau des instances supérieures, invite donc à reconsidérer le cadre d’intervention et de contrôle exercé par le ministère de la Culture et de la communication (MCC) sur l’ensemble de ce réseau qui irrigue une bonne part du territoire national.

Place au dialogue donc, à la co-construction et à l’expérimentation car, insiste la Directrice, si « l’évolution des critères de classement est […] souhaitée et soutenue par le ministère », rien n’est pour le moment définitivement arrêté et des expérimentations vont être déployées avec des collectivités volontaires — sont évoquées la région Normandie et la ville de Dôle.

Abandon du classement « vertical » et cursus organisés en « séquences »

Le projet de la DGCA4 vise à encourager la mise en place de parcours d’études (avec des parcours projets et des parcours libres) comprenant quatre séquences (découverte, exploration, réalisation et approfondissement) pour trois niveaux distincts de reconnaissance : la certification, l’habilitation et l’agrément.

Pour obtenir la certification, un établissement devrait pouvoir proposer à minima les deux premières séquences du parcours d’études et dans deux spécialités à choisir parmi la danse, la musique et le théâtre.

Ce même établissement peut également prétendre à une habilitation à délivrer le diplôme national de fin d’études initiales 5 dans une ou plusieurs disciplines, à condition d’offrir les quatre séquences du cursus dans cette ou ces disciplines.

De même, ces établissements devront pouvoir disposer d’une équipe pédagogique constituée d’enseignants répondant aux qualifications précisées par catégorie et spécialité et en fonction du niveau de labellisation (certification, habilitation ou agrément).

Mais attention, ce n’est que pour le niveau d’habilitation que serait exigée la présence d’une équipe pédagogique constituée d’enseignants qualifiés sur le plan pédagogique et comportant un professeur territorial d’enseignement artistique ou titulaire du CA dans au moins 50% des disciplines enseignées pour chacune des spécialités concernées par ce diplôme. L’obligation de disposer d’une équipe pédagogique composée d’enseignants titulaires du certificat d’aptitude de professeur ou d’un niveau de qualification équivalent pour toutes les disciplines ne concerne que le 3ème niveau, celui de l’agrément, qui permet d’assurer une préparation à l’entrée dans les établissements d’enseignement supérieur de la création artistique, conformément au décret du 2 mai 2017 et à l’arrêté du 5 janvier 2018.

Quelles perspectives pour le cadre d’emplois des PEA6 ?

Interrogée sur la question de l’emploi des enseignants, Sylviane TARSOT-GILLERY affirme que « le niveau d’emploi restera une condition indispensable pour l’engagement de l’État aux côtés des collectivités territoriales dans la procédure de certifica­tion. » Qu’entend-on exactement par niveau d’emploi ?

De fait, l’assouplissement des critères portant sur les cursus proposés — les deux premières séquences suffisant à obtenir le premier niveau de certification —, assorti par ailleurs de cette obligation (nouvelle pour les CRC/CRI) de proposer deux spécialités, ne risque-t-il pas de conduire les collectivités à recruter prioritairement des enseignants sur le cadre d’emplois des assistants territoriaux d’enseignement artistique (ATEA) ?

Quid des DNOP/DEM/DEC/DET ?

La dénomination proposée par la DGCA pour le diplôme national (« diplôme national de fin d’études initiales ») résulte d’un étrange amalgame qui n’est pas sans rappeler l’ancienne dénomination du « diplôme de fin d’études » qui venait sanctionner la fin d’un parcours de pratique amateur. Ajouter le terme initial a-t-il pour objet de rappeler feu le CEPI ?
A moins que tout ceci n’illustre l’impossible positionnement d’un diplôme terminal, suite à la mise en place des « classes préparatoires » qui, par nature, ne peuvent être diplômantes ?

En bonne logique, le DNOP devrait disparaître puisque les enseignements préparatoires aux établissements d’enseignements supérieurs de la création artistique dans le domaine du spectacle vivant sont venus se substituer aux CEPI, là où ils existaient7. Qu’en sera-t-il alors du premier grade du cadre d’emplois des ATEA mis en place avec le Nouvel espace statutaire (NES) en 2012 et dont la condition de titre pour le concours externe est le DEM/DET/DNOP afin de maintenir, dans l’esprit de cette réforme de la catégorie B, un accès possible à niveau baccalauréat ?

On le voit, les interrogations ne manquent pas !

Gageons que la DGCA parvienne à conduire cette nouvelle réforme en prenant soin d’être à l’écoute des élus et du milieu professionnel de l’enseignement artistique. Les deux seules réunions préalables avec les partenaires qui se sont déroulées à l’automne ne peuvent faire office de « concertation étroite avec les acteurs concernés » comme le laissent parfois entendre les représentants de l’État.


Cet article est mis à disposition selon les termes de la licence http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/deed.fr (Attribution / Pas d’utilisation commerciale / Partage dans les mêmes conditions)

  1. Voir : Table ronde du Sénat sur les conservatoires : que retenir de la discussion ?
  2. Voir mes différents billets avec le mot clé « LCAP ».
  3. « L’État procède au établissements des établissements en catégories correspondant à leurs missions et à leur rayonnement régional, départemental, intercommunal ou communal. Il définit un schéma national d’orientation pédagogique dans le domaine de l’enseignement public spécialisé de la musique, de la danse et de l’art dramatique ainsi que les qualifications exigées du personnel enseignant de ces établissements et assure l’évaluation de leurs activités ainsi que de leur fonctionnement pédagogique » extrait de l’article L. 216-2 du code de l’Éducation.
  4. Cf. Le projet de réforme des critères de classement des conservatoires, document de travail du Ministère de la culture – Octobre 2018.
  5. Ce « diplôme national » a fait son apparition dans la loi LCAP.
  6. Pour mémoire, on compte 7 356 agents sur le grade de PEA (titulaires et contractuels) et 18 580 agents relevant du cadre d’emplois des ATEA ; Source INSEE/SIAPSP (Système d’information sur les agents des services publics) au 31 décembre 2014.
  7. « Les établissements qui, depuis deux années scolaires révolues, proposent un cycle d’enseignement professionnel initial (CEPI) mentionnés au R. 361-7 du code de l’éducation et répondant aux conditions d’organisation définies par les articles R. 361-7 et suivants du code sont agréés, au sens du présent décret, pour une durée de trois ans à compter de la date de publication de ce décret. » Décret n°2017-718 du 2 mai 2017 relatif aux établissements d’enseignement de la création artistique, article 3.

2 Comments

  • la difficulté de ce chambardement en cours et en devenir est qu’il concerne un peu tout (les cursus, le statuts des enseignements, le classement des établissements) mais dans ce qui ne peut qu’apparaître à nos yeux, « professionnels de la profession » que comme une grande confusion. On commence par réformer le 3e cycle spé ( les classes prépa) avant de repenser rationnellement le positionnement complet de l’enseignement artistique en France vis à vis de l’enseignement général et universitaire qui est pourtant le principal écueil du système français actuel, il me semble…

    J’ai participé récemment à une réunion régionale de directeurs de conservatoire où l’un d’entre de nous, directeur de CRR, s’est adressé à la conseillère musique & danse en région en ces termes :  » faut-il vraiment changer tout cela ? Si c’est le cas, pouvez vous nous dire ce qui ne fonctionnait pas avant ? ». S’en est suivi un certain embarras de son interlocutrice qui n’a pu que bredouiller en retour quelques mots pouvant se résumer ainsi « il existe quand même certaines disparités entre les établissements sur le territoire… » (?).

    J’en reviens à mon idée première : si l’idée de mettre en place un DNFEI est que ce diplôme national soit aligné sur le baccalauréat de l’enseignement général, pourquoi pas, mais à ce moment-là il ne faudra alors pas que la classe prépa que l’élève suivra (si j’ai bien compris) dure trop longtemps, c’est à dire que l’étudiant (la classe prépa a l’intérêt de donner ce statut aux élèves) puisse accéder assez vite à un pôle sup ou un CNSM qui trois plus tard lui délivrera un(e) DNSPM/licence.
    A cette condition, l’idée n’est donc pas incohérente, puisque ce « assez vite » est relatif dans la mesure où des élèves obtenant le DNFEI (s’il correspond grosso modo aux acquis du CFEM ou CEM) pourront être jeunes (encore collégiens ou au début du lycée) et effectueront alors leur classe prépa tout en préparant le baccalauréat.
    Dites moi si je me trompe !

    Hervé Air
    Posted 31 mars 2019 at 13h15
  • J’ai l’impression qu’il s’agit d’une réformette, on change les noms de diplômes, mais le problème des conservatoires n’est pas là :
    L’état se désengage financièrement, mais souhaite quand même exercer un contrôle sur l’institution. C’est gonflé. C’est même assez étrange que les collectivités jouent le jeu, (mais ça risque de ne pas durer bien longtemps).

    Qu’on laisse aux directeurs d’établissement une autonomie totale sur les cursus, qu’on sorte les 95% des élèves qui n’ambitionnent pas de carrières pro du système de cursus diplômant (préférer un parcours libre, à la carte) : ces cursus et examens font perdre un temps fou aux équipes pédagogiques, un temps qui permettrait de développer les pratiques collectives et éviter le décrochage massif à l’adolescence, et par ricocher améliorer le niveau.

    Après, certains directeurs pourraient aller plus loin : qu’on supprime ce nom « conservatoire » qui rebutent 90% des usagers (à raison), qu’on ré-équilibre les musiques actuelles avec les musiques classiques et anciennes, qu’on numérise davantage l’enseignement technique pour dégager du temps de pratique, qu’on augmente un peu le temps de travail et les effectifs par classe des enseignants (il n’y a qu’en France on voit ça !).

    Tartuf
    Posted 18 août 2019 at 20h10

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