Mise à jour le 16/12/2021
On pourrait croire l’affaire entendue depuis l’arrêt du Conseil d’État du 23 novembre 1988, dit arrêt Dame Planchon c/Issy-les-Moulineaux, rappelant que toute activité régulière d’enseignement artistique correspond à un « besoin permanent » et ne peut donc être assimilé au statut d’agent « vacataire », quand bien même sa rémunération serait imputée sur des crédits de vacation. Las ! Certaines collectivités persistent à recruter leurs enseignants artistiques en tant que vacataires, au mépris le plus total du droit et au risque de voir le juge administratif requalifier ces vacations en emploi contractuel.
Un nouvel arrêt de la cour administrative d’appel de Douai 1 vient rappeler qu’un agent rémunéré à la vacation, sur un emploi répondant à un besoin permanent, doit être considéré comme un agent non titulaire.
Qu’est-ce qu’un vacataire ?
Il n’existe pas de mentions légales ou règlementaires explicites de la qualité de vacataire. La seule mention les concernant — et encore, celle-ci est établi « en creux », en quelque sorte — se trouve dans le décret de 1988 relatif aux agents non titulaires, lorsque celui-ci précise qu’il ne s’applique pas « aux agents engagés pour un acte déterminé »2.
C’est donc la jurisprudence qui a dégagé les critères permettant de distinguer les agents vacataires des agents non titulaires ou contractuels. Ces critères ont été formulés à plusieurs reprises par le ministre de la fonction publique, en réponse à des questions parlementaires : « Seule la jurisprudence apporte des précisions en (…) caractérisant [la qualité de vacataire] par trois conditions cumulatives : spécificité (le vacataire est recruté pour exécuter un acte déterminé), discontinuité dans le temps (l’emploi ne correspond pas à un besoin permanent) et rémunération attachée à l’acte. Si l’une de ces conditions fait défaut, l’intéressé n’est pas considéré comme vacataire mais comme agent non titulaire, à moins qu’il ne s’agisse d’une activité accessoire à une activité publique principale, et le régime général qui lui est applicable est celui précisé par le décret du 15 février 1988 précité3».
Dit plus simplement, un vacataire est un collaborateur occasionnel, employé pour une tâche déterminée qui n’est pas appelée à se reproduire.
La spécificité dans l’exécution de l’acte implique que l’agent est engagé pour une mission précise, pour un acte déterminé (jury d’examen, master class, conférences, …).
La discontinuité dans le temps signifie que les missions concernées correspondent à un besoin ponctuel de la collectivité. Le fait qu’un enseignant soit engagé comme c’est le cas ici, de septembre à juin ne peut être assimilé à une forme de discontinuité. Il en va de même de la quotité hebdomadaire. Le simple fait qu’un contrat soit conclu pour pourvoir un emploi à temps non complet ne signifie pas qu’il ne réponde pas à un besoin permanent. Ce qu’apprécie le juge administratif, c’est la permanence du besoin du service qui caractérise la permanence de l’emploi, et non pas le nombre d’heures hebdomadaires pendant lequel ce besoin s’exprime. Il convient ici de ne pas confondre la permanence de l’emploi avec la durée de service correspondant à cet emploi, c’est-à-dire la permanence de l’agent dans l’emploi !
Ainsi le juge a considéré qu’un dentiste travaillant quelques heures par semaine dans un dispensaire municipal et rémunéré à la vacation occupait cependant un emploi permanent, dans la mesure où le besoin justifiant son recrutement était lui-même permanent4. A l’inverse, un agent recruté comme ouvreuse à raison de quelques heures mensuelles pendant deux saisons lyriques au sein d’un opéra doit être regardé comme étant recruté pour un acte déterminé et donc être qualifié de vacataire5.
L’analyse a été la même dans un jugement rendu par le tribunal administratif d’Amiens6 et qui indique qu’un professeur dispensant pendant sept ans en moyenne quatre heures hebdomadaires d’enseignement de la musique ne peut être considéré comme un agent vacataire : « Considérant qu’il résulte de l’instruction que Mme G. a été recrutée à compter de septembre 2000 par la commune de Liancourt aux termes d’un engagement verbal prévoyant qu’elle serait rémunérée par des vacations horaires dans des conditions prévues par délibération du conseil municipal pour assurer pendant la période scolaire des fonctions de professeur de musique ; que son recrutement a fait l’objet pour les années scolaires 2004-2005 et 2005-2006 d’arrêtés municipaux en date des 27 janvier et 18 octobre 2005 ; qu’elle a poursuivi ses fonctions jusqu’en juillet 2007 et a ainsi dispensé pendant sept ans en moyenne quatre heures hebdomadaires d’enseignement de la musique ; qu’elle ne saurait, par suite, et nonobstant la mention “d’agent vacataire” portée sur les arrêtés la recrutant et celle de “vacations” portée dans les délibérations fixant le taux horaire applicable aux professeurs de musique, être regardée comme un agent engagé pour un acte déterminé au sens de l’article 1er du décret n°88-145 susvisé, excluant de son champ d’application ces agents ; qu’elle doit être regardée comme occupant, non un poste de vacataire, mais un poste permanent d’agent non titulaire à temps partiel bénéficiant de contrats à durée déterminée successifs sans solution de continuité ». Notons au passage que le Tribunal administratif considère que la dénomination de vacataire figurant sur l’acte d’engagement est sans influence sur le statut applicable à l’enseignant.
Enfin, la rémunération d’un vacataire est liée à l’acte pour lequel l’agent a été recruté : autant d’actes, autant de vacations. A cet égard, il faut rappeler que les collectivités étant libre de choisir les modalités de rémunération de leurs agents contractuels, il peut arriver que cette rémunération soit imputée sur des crédits de vacation7. Pour autant, dès lors que l’activité présente une certaine continuité dans le temps, qu’il existe, dans son exercice, un lien de subordination à l’autorité administrative et que l’activité corresponde à un besoin permanent, ces agents sont des agents publics contractuels à part entière.
Qu’appelle-t-on « besoin permanent » ?
Un emploi qui n’est pas permanent correspond à un besoin occasionnel alors qu’un emploi permanent signifie, qu’à la date de création de l’emploi, il n’est pas possible d’en connaître la date de fin.
Un emploi permanent, en revanche, correspond à l’activité normale et habituelle de l’administration. Il s’agit d’un emploi dont la création est rendue nécessaire par le caractère permanent de l’activité. L’exercice des missions statutaires des enseignants artistiques implique un suivi pédagogique au long court et répond ainsi nécessairement à un besoin permanent de l’administration, cela indépendamment de variations éventuelles ou de la faible quantité du nombre d’heure affecté à cet enseignement.
La jurisprudence est constante sur ce point, rappelant à chaque fois que « l’existence, ou l’absence, du caractère permanent d’un emploi doit s’apprécier au regard de la nature du besoin auquel répond cet emploi et ne saurait résulter de la seule durée pendant laquelle il est occupé8. »
Des conséquences importantes en matière de carrière
Tout salarié du secteur public qui occupe un emploi permanent est soit un fonctionnaire (titulaire), soit un contractuel (agent non titulaire). En effet, et bien que la loi du 7 août 2019 relative à la transformation de la fonction publique va permettre un assouplissement sensible du régime dérogatoire de recours aux contractuels
9, il n’en demeure pas moins que l’article 3 de la loi du 13 juillet 198310 stipule que les emplois permanents des collectivités territoriales sont occupés par des fonctionnaires, sauf dérogation prévue par une disposition législative.
En vertu de ce principe, le recours à des agents contractuels pour pourvoir des emplois permanents, reste l’exception et n’est envisageable que lorsque la recherche de fonctionnaire est restée infructueuse.
C’est pourquoi le fait de qualifier à tort un agent de vacataire conduit à le priver des droits que lui accordent les textes applicables aux agents non titulaires. En effet, les « vrais » vacataires n’entrent pas dans le champ d’application des textes applicables aux agents publics. Ainsi, à défaut d’être cités par l’article 136 de la loi du 26 janvier 1984, ils ne bénéficient d’aucune disposition de cette loi, ni de celles de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligation des fonctionnaires ! Alors que les enseignants contractuels sont, quant à eux, soumis au décret n° 88-145 du 15 février 1988 régissant les agents non titulaires des collectivités locales sur emploi permanent. Ce décret leur donne les droits suivants :
- Acte d’engagement écrit (contrat ou décision administrative) qui définit le poste occupé et ses conditions d’emploi ainsi que les droits et obligations de l’agent,
- Congés annuels dont la durée et les conditions d’attribution sont identiques à celles d’un titulaire et qui donne lieu à une indemnité compensatrice si l’agent n’a pas pu en bénéficier totalement du fait de l’administration,
- Congé pour formation professionnelle,
- Congé de maladie, de maternité et d’adoption,
- Congé non rémunéré pour raisons familiales ou personnelles,
- Droit au travail à temps partiel,
- Respect de la procédure prévue en cas de licenciement ou de non renouvellement de contrat,
- Les enseignants non titulaires ont droit à une indemnité de résidence et à un supplément familial de traitement.
Appliquer le droit
De nombreux centres de gestion ne manquent pas de rappeler l’irrégularité d’un tel procédé de recrutement, ajoutant que le risque principal attaché au recrutement d’un « faux vacataire » est que ce dernier saisisse le juge administratif pour solliciter la requalification de son contrat et, dans ce cadre, demande la régularisation de sa situation, cette dernière pouvant avoir des conséquences financières sérieuses.
Ce qu’a fait cette enseignante, non sans faire preuve d’un certain courage, car il n’est jamais anodin pour un agent de se retourner contre sa collectivité. Preuve en est, qu’en l’espèce, cet agent s’est vu refusé par le maire de sa commune le renouvellement de son contrat — une décision qui sera annulée (voir ci-après).
Dans cette affaire, le juge retient que compte tenu de la durée de son engagement (près de 20 ans !) et du fait qu’elle occupait un emploi répondant à un besoin permanent — alors même que l’agent était rémunéré à la vacation —, elle ne pouvait être regardée comme ayant la qualité de vacataire engagée pour accomplir ponctuellement une tâche déterminée. Au contraire, elle doit être considérée comme un agent contractuel de la fonction publique territoriale recruté sur un emploi permanent du niveau de la catégorie A. De ce fait et en application de l’article 21 de la loi Sauvadet du 12 mars 2012 qui n’impose aucune condition relative à la quotité de travail ou de conversion en temps plein, la Cour retient que l’agent justifiant de plus de 6 ans et huit mois de services effectifs au 13 mars 2012 (date de publication de la loi Sauvadet), elle remplissait donc l’ensemble des conditions requises par cette loi pour que lui soit obligatoirement proposé un CDI.
Par ailleurs et dès lors que la commune était tenue de proposer à l’agent un contrat à durée indéterminée, la décision du Maire de refuser le renouvellement de son contrat à la rentrée 2016 doit donc s’analyser comme un licenciement. Aucune procédure de licenciement n’ayant été menée, cette décision est, par conséquent, illégale et doit, par suite, être annulée.
Comment ne pas s’interroger sur de telles situations ? Le service de contrôle de légalité des préfectures est sensé éviter ce type de dérive. Cependant, les faits sont là : certaines collectivités territoriales continuent d’engager des vacataires pour des missions d’enseignement artistique et sur les seules périodes scolaires.
Gageons que cette n-ième jurisprudence permettent d’éviter de nouveaux recours contentieux aussi longs que lourds à porter pour les agents qui s’y engagent. La constance des différentes jurisprudences en la matière ne suffit-elle pas à témoigner du fait qu’il n’y pas là matière à interprétation juridique ?
Il suffit d’appliquer le droit, un point c’est tout !
Ajout du 26/12/2021 :
Un contentieux similaire portant cette fois-ci sur le recrutement par l’Eurométropole de Strasbourg, comme vacataire, d’une une ouvreuse d’un théâtre municipal qui a vu son premier engagement renouvelé pour dix mois puis régulièrement reconduit pendant une dizaine d’années avant que la collectivité mette finalement un terme à son engagement de manière anticipée. Ayant pour mission notamment d’accueillir et de placer le public, de veiller à sa sécurité et d’assumer une régie de recettes pour la vente des programmes, l’intéressée doit donc être regardée comme ayant été recrutée non pour effectuer des vacations mais pour répondre à un besoin permanent de la collectivité en qualité d’agent non titulaire.
Arrêt de la Cour administrative d’appel de Nancy du 6 juillet 2021
Cet article est mis à disposition selon les termes de la licence http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/deed.fr (Attribution / Pas d’utilisation commerciale / Partage dans les mêmes conditions)
- CAA de DOUAI, N° 18DA00876, Inédit au recueil Lebon.
- Article 1er du décret n° 88-145 du 15 février 1988.
- Voir par exemple la question écrite n°26505 du 20 octobre 2003, J.O.A.N. (Q), n° 12, 23 mars 2004, p. 2323.
- Cour administrative d’appel de Paris, 11juillet 2003, req. n° 98PA011046
- Cour administrative d’appel de Marseille, 14 novembre 2006, req. n° 03MA02422.
- Tribunal administratif d’Amiens, 17 février 2009, req. n° 0700034. On notera au passage que ce jugement concerne la même commune de Liancourt…!
- La jurisprudence précise en effet que le fait d’être agent contractuel n’interdit pas que la rémunération soit calculée sur la base d’un taux horaire ou « vacation » ; Voir CE, 8 novembre 1995, n° 110435.
- Cours administrative d’appel de Bordeaux, 13 mars 2017, n°15BX01848.
- Voir billet du 9 août 2019.
- Titre I du statut général des fonctionnaires.
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Le problème n’est pas dans les lois, mais dans les moyens de les faire appliquer sans compromettre la suite de sa « carrière ». Ce qui pose la question de l’état de droit
Jean Haas