27/08/2017
m.à.j 12/02/2022
La question des congés des enseignants est un véritable serpent de mer qui refait surface à espaces réguliers, que ce soit dans la fonction publique d’État (FPE) ou dans la fonction publique territoriale (FPT).
Le propos de ce billet est de rattacher cette question spécifique à celle de l’annualisation du temps de travail qui est encore pratiquée pas certaines collectivités, au mépris d’une jurisprudence pourtant constante en la matière depuis de nombreuses années. Un arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes vient de le rappeler à nouveau, et de façon très intéressante le 21 juillet dernier.
Qu’est-ce que l’annualisation du temps de travail ?
L’annualisation permet aux collectivités d’organiser des cycles de travail de durées variables en référence à la durée légale, tout en permettant de rémunérer les agents de manière constante sur l’année civile.
Ce principe peut s’appliquer, de façon tout à fait légale, aux agents affectés dans les écoles (les ATSEM1) ou aux adjoints d’animation.
En effet, ces agents bénéficient de fait de la quasi-totalité des vacances scolaires alors que, selon les dispositions règlementaires, un fonctionnaire en activité a droit à un congé annuel égal à cinq fois ses obligations hebdomadaires de service2. Ils sont donc appelés, en période scolaire, à effectuer un nombre d’heures hebdomadaires supérieur à leur base hebdomadaire de rémunération. Le dépassement d’heures est restitué au moment des vacances scolaires sous la forme de jours de récupération. Les vacances scolaires sont ainsi constituées d’une part de jours de congés annuels et d’une part de jours de récupération de temps de travail3.
Peut-on l’appliquer aux enseignants de la filière culturelle ?
La réponse est non, sans ambigüité aucune et pour une raison toute simple ! Les cadres d’emplois des enseignants (ATEA et PEA) étant soumis à un régime hebdomadaire d’obligations de service, ils sont exclus du champ d’application des textes concernant la réduction de la durée du temps de travail (ARTT) et de son annualisation4.
La jurisprudence est constante sur ce point depuis un célèbre arrêt du Conseil d’État de juillet 2006, dit arrêt Ludres.
Mais alors, pourquoi certaines collectivités continuent-elles à la pratiquer ?
Lors de la construction, en 1991, de la filière culturelle, les statuts régissant les deux cadres d’emplois des ATEA et des PEA ont été élaborés, selon le principe de parité, en référence à ceux des enseignants du ministère de l’Éducation nationale (FPE). Certains particularismes (durées de service, congés, régimes indemnitaires, …) ont été directement transposés alors qu’ils ne se retrouvent dans aucun autre des cadres d’emplois de la FPT.
Cette différence de « culture » explique une partie des difficultés rencontrées avec certains interlocuteurs issus de ces filières, notamment administratives.
Or, dans la FPT, la règle dite du « service fait » constitue un élément premier du statut des agents publics. Figurant dans la loi du 13 juillet 1983, ce principe constitue un droit fondamental du fonctionnaire —le droit à rémunération—, droit assorti, en retour, de l’obligation pour celui-ci de bien effectuer la totalité de ses heures de travail5.
Comme cela a été évoqué précédemment, certains agents des collectivités locales comme les ATSEM travaillent en lien avec l’Éducation nationale ou, pour les animateurs, avec le secteur culturel. Mais ces agents ne bénéficiant pas d’un régime d’obligation de service, toutes les dispositions relatives à l’aménagement du temps de travail peuvent donc leur être appliquées. Compte-tenu de la réalité de leurs missions auprès de publics scolaires, le principe de l’annualisation s’est imposé naturellement en référence à la notion du service fait. Par ailleurs, on pourra constater qu’une part importante de ces personnels sont employés à temps non complet, rendant d’autant plus facile cette organisation par cycle de travail.
Enfin, — et là se trouve très certainement le point le plus problématique aujourd’hui —, les enseignants, malgré les spécificités de leurs statuts, demeurent des agents publics comme les autres. A ce titre, ils relèvent du régime général des fonctionnaires territoriaux, lesquels bénéficient de congés dont la durée est fixée à cinq fois les obligations hebdomadaires de service, cette durée étant appréciée en nombre de jours effectivement ouvrés6 !
Cette incohérence fait l’objet de questions récurrentes à l’Assemblée nationale ou au Sénat7 et elles associent d’ailleurs systématiquement la question de l’annualisation avec celle des congés.
La réponse de l’administration est constante et ne permet pas de trancher. Elle rappelle d’une part que l’annualisation est contraire à la loi (cf. arrêt « Ludres ») et, d’autre part, que les enseignants sont bien des agents publics soumis au régime réglementaire des congés payés, distinguant explicitement les congés annuels qui leur sont dus (5 semaines) des périodes de vacance de classe (16 semaines) !
Formulé autrement, cela reviendrait donc à dire que pour une partie des périodes concernées, ce ne sont pas les enseignants qui sont en congés, mais bien leurs élèves. Mais, si tel est le cas, que peut-on bien alors faire faire durant ces périodes de vacance d’emploi ?
Nous avons tous en mémoire l’exemple de ce directeur d’école de musique qui a été réquisitionné durant l’été par son maire pour gardienner la piscine municipale ! Ces agissements sont, bien évidement, totalement illégaux puisque les missions doivent correspondre à celles qui figurent dans les statuts particuliers. Cependant et statuant en février 2014 sur un contentieux portant sur l’annualisation, cette même Cour administrative d’appel de Nantes a stipulé dans l’un des considérant de l’arrêt que la commune en question était en droit d’affecter l’intéressée (une assistante d’enseignement artistique) « à toute autre tâche correspondant à son statut […] » afin d’exercer « une autre activité compatible avec les règles régissant son emploi lors des congés scolaires »8.
Comme le montre cet arrêt —le seul allant dans ce sens à ce jour à ma connaissance—, il semble donc juridiquement possible d’affecter des enseignants à des missions conformes à leurs statuts particuliers9 et dans leur discipline durant une partie des congés scolaires. Ainsi, le tribunal administratif de Grenoble a-t-il débouté un maire qui avait affecté un professeur de violon sur des missions relevant de celles d’un musicien intervenant10.
Qu’en est-il du côté de l’Éducation nationale ?
Les « vacances scolaires » dont bénéficient les enseignants relèvent d’une forme de « droit coutumier » et ne reposent sur aucun fondement juridique établi.
Elles ne sont en aucun cas assimilables aux congés annuels auxquels les personnels enseignants ont droit en application de l’article 34 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État et du décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l’État. Le juge administratif a en effet considéré qu’ « aucun texte de loi ou de règlement n'[a] reconnu au personnel enseignant un droit à des congés annuels d’une durée égale à celle des vacances scolaires » (Conseil d’État, section, 24 octobre 1952, n° 12749).
Un arrêt du Conseil d’État a provoqué en 2012 un vif émoi dans le milieu enseignant, car mentionnant de façon incidente la référence à la durée de congés égale à cinq fois ses obligations hebdomadaires de service.
Le contentieux portait sur une demande faite par une enseignante d’un report de ses congés annuels de l’été 2010 à l’issue de son congé maternité (comme cela se fait fréquemment hors milieu enseignant), lequel avait eu lieu d’avril à octobre11.
Voici ce que dit le texte : Considérant qu’eu égard aux nécessités du service public de l’éducation, une enseignante ne peut exercer son droit à un congé annuel, d’une durée égale à cinq fois ses obligations hebdomadaires de service, que pendant les périodes de vacance des classes, dont les dates sont arrêtées par le ministre chargé de l’éducation ; que, dès lors, si, conformément au droit de l’Union européenne, elle a droit au bénéfice de son congé annuel lors d’une période distincte de celle de son congé de maternité, elle n’est en droit de prendre un congé annuel en dehors des périodes de vacance des classes que si elle n’est pas en mesure d’exercer ce droit, au cours de l’année concernée, pendant les périodes de vacance des classes précédant ou suivant la période de son congé de maternité […], la demande de Mme A ne peut qu’être rejetée ».
On notera toute la subtilité de cet arrêt qui tente (sans vraiment y parvenir) de concilier le droit européen qui considère que cette enseignante est une salariée comme les autres, tout en en déclarant qu’elle ne peut disposer de ses congés librement, en raison de la spécificité de son métier qui lui impose de suivre le rythme scolaire12.
Mais qu’on se rassure, cet arrêt ne devrait pas changer grand chose à la durée effective des vacances quand on connait l’extrême sensibilité du sujet chez le corps enseignant. Vincent Peillon n’avait-il pas annoncé, dès son arrivée rue de Grenelle, sa volonté de porter à 38 semaines la durée de l’année scolaire…?
Un vrai besoin de clarification
Comme cela a été rappelé, l’annualisation du temps de service des enseignants est une pratique totalement illégale. Sa relative fréquence ne manque pas d’interroger alors que la jurisprudence est constante sur ce point. Les éléments de contexte donnés ci-dessus permettent d’expliquer en partie cette pratique mais ne sauraient pour autant la justifier. Le manque d’information et les réponses parfois contradictoires que l’on entend d’une collectivité ou d’un centre de gestion à l’autre illustrent la complexité du sujet. Le contexte dégradé des finances publiques tout comme la baisse des dotations de l’État aux collectivités locales n’encouragent pas les pratique vertueuses sur ce plan. La situation est encore plus préoccupante pour les agents contractuels dont l’annualisation se traduit très souvent par le recours à des CDD de 10 mois, alors que dans l’immense majorité des cas, ils occupent des postes dont la pérennité de l’emploi ne fait aucun doute. La situation est d’autant plus injuste que l’organisation des concours d’accès à la filière a connu de nombreux avatars depuis 201113.
En revanche, la question des congés scolaires demeurent toujours aussi floue.
Elle peut être source de tensions et d’inquiétudes pour tout un établissement et à l’origine de conflits importants entre responsables et équipes pédagogiques. Elle contraint les enseignants à être dans la justification permanente et ne facilite pas l’instauration de rapports de confiance dont on connait l’importance capitale pour le bien-être au travail et la prévention des risques psycho-sociaux.
Afin de justifier de la réalité de leur travail et du bien-fondé de ces périodes de vacance d’activité, certaines équipes proposent de faire figurer directement dans les règlements internes le découpages des activités portant, certaines sur 36 semaines, d’autres sur 47, afin de rester dans le droit commun des cinq semaines réglementaires. En 2007, l’UNDC14 avait élaboré un tableau recensant l’ensemble des missions pouvant être exécutées dans le cadre de la durée légale annuelle (1607h). Pour intéressant que soit cet exercice, ne risque-t-on pas alors d’entrer en contradiction avec le régime d’obligation de service qui est un élément fondamental du statut et qui, justement, porte sur des maxima de service (20h et 16h) interdisant, de facto, tout décompte des missions liées — le fameux accessoire nécessaire aux obligations de service ?
La notion jurisprudentielle d’accessoire nécessaire aux obligations de service permet d’identifier beaucoup de ces zones grises. De telles obligations peuvent être définies avec précision, sans pour autant chercher à les quantifier de façon exhaustive. C’est d’ailleurs ce qui a été fait en 2014 par le ministère de l’Éducation nationale lors de la refonte du décret sur les obligation réglementaires de service datant de… 1950 !
Dans le même temps, et conformément au principe de parité, l’organisation générale de l’année scolaire pourrait être définie en référence au calendrier de l’Éducation nationale dans les règlements intérieurs, en prenant en compte le fait que la durée des vacances des enseignants se confond pratiquement avec celle de leurs élèves, tout en laissant la porte ouverte à des aménagements spécifiques en début ou fin d’année comme c’est déjà très souvent le cas.
Une toute nouvelle jurisprudence
Comme mentionné au début de ce billet, la Cour administrative d’appel de Nantes vient de prononcer un arrêt pointant une nouvelle fois l’illégalité d’une mesure d’annualisation d’un enseignant artistique. Même s’il convient de rester prudent à ce stade —cet arrêt n’ayant pas encore l’autorité absolue de la chose jugée puisque les voies de recours sont toujours ouvertes— il faut souligner que pour la première fois dans un texte de cette portée, il est fait référence de façon explicite au calendrier scolaire.
Ainsi peut-on lire « […] qu’il en résulte qu’un assistant territorial spécialisé d’enseignement artistique recruté sur la base d’une durée hebdomadaire maximale de 20 heures n’est tenu de travailler 20 heures par semaine que durant les périodes, représentant environ 36 semaines, correspondant à l’activité scolaire, alors même que sa rémunération est versée sur 12 mois. »
Attention cependant à ne pas donner à cet arrêt une portée excessive car, rappelons que l’objet de ce 3ème considérant concerne uniquement la possibilité (la réponse est non, bien entendu) d’annualiser le temps de travail des enseignants. Par ailleurs, le choix de la formulation de « 36 semaines environ » témoigne de l’absence d’un texte de référence, les juges n’ayant pas pour habitude, tout comme le législateur, de fixer les durées de congés annuels de façon approximative…
Serait-ce là le signe d’une évolution jurisprudentielle de fond tendant à faire reconnaître juridiquement la très grande homologie de fonctionnement des établissements d’enseignement public de la musique, de la danse et de l’art dramatique et des établissement publics locaux d’enseignement sur le plan des congés scolaires ?
Si réponse, un jour, il doit y avoir à cette épineuse question, ce sera très probablement en usant du principe de parité avec nos « homologues » de la fonction publique d’État15.
Cet article est mis à disposition selon les termes de la licence http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/deed.fr (Attribution / Pas d’utilisation commerciale / Partage dans les mêmes conditions)
- Agent territorial spécialisé des écoles maternelles
- Article 1er du décret n° 85-1250 du 26 novembre 1985
- On notera toutefois que pour ces agents, aucun texte réglementaire ne donne de méthode de calcul concernant cette annualisation pour les agents à temps complet ou à temps non complet travaillant selon le rythme scolaire. Seuls les éléments légaux sur la durée du travail doivent être respectés par les collectivités
- Article 7 du décret du 12 juillet 2001 relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale : « Les régimes d’obligations de service sont, pour les personnels qui y sont soumis, ceux définis dans les statuts particuliers de leur cadre d’emplois ».
- « Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l’indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que diverses primes et indemnités. Ce droit constitue une garantie fondamentale du fonctionnaire ». Article 20
- Décret du 26 novembre 1985
- Voir, par exemple, la Question écrite de M. Ambroise Dupont
- Ce 6ème considérant est ici interprété a contrario pour les besoins de la démonstration
- C’est-à-dire qui relèvent nécessairement de l’enseignement
- TA de Grenoble, 1er octobre 1999, n° 973903
- Laissons de côté les interrogations d’ordre éthique qu’une telle demande peut susciter…
- « il résulte du calendrier scolaire des années 2009-2010 et 2010-2011 dans l’académie de Besançon, mentionné au point 6, qu’en 2010, les classes de l’académie de Besançon ont été vacantes pendant 36 jours en dehors de la période du congé de maternité de Mme A, soit une durée supérieure à son droit à congé annuel ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que le recteur de l’académie de Besançon ne pouvait refuser le report du droit à congé annuel de Mme A au titre de l’année 2010 à l’issue de son congé de maternité sans méconnaître la règle, dégagée par la Cour de justice des Communautés européennes, selon laquelle une travailleuse a droit au bénéfice de son congé annuel lors d’une période distincte de celle de son congé de maternité, doit être écarté ; que la demande de Mme A ne peut, par suite, qu’être rejetée ; » (CE, 26 novembre 2012, n°349896).
- Ces concours vont enfin pouvoir être organisés en 2018 pour le cadre d’emplois des ATEA et, selon toute vraisemblance, en 2019 pour celui des PEA
- Union nationale des directeurs de conservatoires
- Un argument qu’à fait valoir le SNEA dans le contentieux avec la ville de Roncq. Un argument rejeté par la Cour administrative d’appel de Douai dans son arrêt du 21 octobre 2021 au motif que « Si le syndicat national des enseignants et artistes se prévaut de la méconnaissance du principe de parité avec la fonction publique de l’État, il résulte des dispositions de l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale que celui-ci ne porte que sur les régimes indemnitaires applicables aux fonctionnaires territoriaux et non sur la durée des congés qui leur est octroyée.[…] (10ème considérant).