27/10/2020
Le 22 octobre, le Gouvernement a décidé d’étendre le couvre-feu à 38 nouveaux départements et cette mesure est effective depuis le vendredi 23 octobre à minuit. Ce sont désormais 54 départements, en plus de la Polynésie française, qui sont concernés par le couvre-feu. Si l’impact parait mesuré pour les conservatoires dont l’essentiel des activités se déroule en dehors de la période de couvre-feu, les différences entre certaines dispositions réglementaires prises par les préfets au travers de leurs arrêtés interrogent quant à la cohérence nationale de ces mesures censées limiter la propagation de l’épidémie.
Préambule
Le 14 octobre dernier, face à la brutale et préoccupante dégradation d’un certain nombre d’indicateurs sanitaires, le Président de la République a annoncé le rétablissement, par décret, de l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire1. L’Assemblée nationale vient de voter la prolongation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février, un texte qui prévoit même des restrictions possibles jusqu’au 1er avril, en sortie de l’urgence et qui doit désormais être soumis à l’examen des sénateurs ce mercredi.
Le couvre-feu, autrement dit l’interdiction de circulation imposée à la population durant une bonne partie de la nuit dans les villes où le virus circule trop vite constitue un régime d’exception dont la mise en œuvre s’avère délicate, dès lors qu’il s’agit de concilier les objectifs divergents de protection de l’ordre public, d’un côté, et de sauvegarde des libertés fondamentales, de l’autre. La presse s’est fait l’écho du fait qu’une telle mesure n’avait jamais été utilisée contre les épidémies avant la Covid2 et qu’elle renvoie à quelques pages noires de notre histoire (octobre 1961, entre autres)…
Depuis la (première) loi d’urgence sanitaire du 23 mars 2020, c’est au ministre des Solidarités et de la Santé qu’il appartient de décider de « toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des mesures possibles sur la santé de la population ». Pour ce faire, il peut également « habiliter le représentant de l’Etat territorialement compétent à prendre toutes les mesures d’application de ces dispositions ».
D’où la pluie d’arrêtés portant application du couvre-feu observées ces dernier jours, tous pris par les préfets de département dotés du pouvoir de police spécial, et cela d’autant plus que ce pouvoir entre dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.
Comme le soulignait Géraldine Bovi-Hosy en mars dernier dans un article de la Gazette des communes3, restreindre les libertés individuelles est soumis à des contraintes juridiques très importantes. Il s’agit donc de démontrer que cette mesure restrictive entraine un train de mesures nécessaires, proportionnées et limitées aux circonstances. D’où l’importance des « Considérants » qui viennent motiver les mesures fortes de restrictions des libertés individuelles.
Et pour les conservatoires ?
Si la mesure ne souffre d’aucune ambiguïté quant à la fermeture de l’ensemble des établissements recevant du public (ERP) de 21h à 6h du matin4, il existe néanmoins des exceptions comme, par exemple, l’autorisation de déplacement entre le domicile et le lieu d’exercice de l’activité professionnelle ou le lieu d’enseignement et de formation, sous réserve d’un justificatif de l’employeur5. La poursuite des cours jusqu’à l’heure du début du couvre-feu semble donc envisageable… pour le moment.
Cela étant, la lecture des différents arrêtés préfectoraux montrent des différences de formulation qui ne manquent pas d’interroger quant à la cohérence des décisions prises par les préfets, lesquels sont pourtant censés représenter un pouvoir central dont on eût pu espérer qu’il parlât d’une seule et même voix, dès lors que les situations sanitaires sont, hélas, désormais très largement comparables d’un territoire à l’autre.
D’une manière générale, les activités d’enseignement qui relèvent du type «R» de l’ERP ne semblent pas remises en question puisque celle-ci concernent aussi les établissements scolaires, dont on comprend bien que tout sera fait pour qu’ils puissent continuer à accueillir les élèves.
Mais prudence, car à bien lire l’article 4 de l’arrêté préfectoral du Bas-Rhin, on peut y voir que les activités associatives pendant lesquelles le port du masque [ne] peut être assuré de manière continue sont interdites, tout en indiquant dans le même article que toute activité à destination exclusive des mineurs est autorisée ! Exit donc la pratique des instruments à vent dans les écoles associatives ? Quid alors des mineurs de – de 11 ans pour lesquels le port du masque n’est en principe pas obligatoire…?
De même, de nombreuses ambiguïtés concernent, une fois de plus, la pratique de la danse et cela d’autant plus qu’il arrive qu’elle s’effectue dans des lieux tels que gymnases ou salles de sports sur lesquels pèse une interdiction parfois assortie d’une mesure d’exception concernant les mineurs. A cet égard, soulignons ici ce communiqué de presse du ministère chargé des sports en date du 17 octobre et où l’on peut lire que « Le ministère chargé des Sports rappelle que les publics prioritaires conservent l’accès à toute forme de pratique sportive, dans tous les types d’équipements sportifs (couvert ou plein air) sur l’intégralité du territoire (y compris zones de couvre-feu). » Les scolaires et les mineurs dont la pratique est encadrée font partie de ces publics prioritaires.
Citons, pour exemple, l’arrêté préfectoral de l’Aveyron qui dispose dans son article premier que « dans les établissements recevant du public (ERP) entre 6h00 et 21h00, la pratique de toute activité dansante est interdite et les vestiaires sont fermés ». Une formulation très générique qui semble donc interdire la pratique de la danse dans tous les ERP de type R. Se pose aussi la question des pratiques sportives qui nécessitent l’usage de vestiaires et qui ne semblent pourtant pas interdites par l’arrêté, voire même sont implicitement autorisées puisqu’il est rappelé que l’usage du masque n’est pas obligatoire pour les personnes pratiquant une activité sportive (article 2) !
Autre exemple de formulation contradictoire avec l’arrêté pris par le Préfet du département des Hautes-Pyrénées. L’article 7 suspend toute pratique sportive dans les ERP de type X (établissements sportifs couverts) et précise que cette interdiction vaut également pour les ERP de type R en citant de manière explicite les établissements d’enseignement artistique spécialisé, tout en faisant valoir une mesure d’exception pour toute activité à destination des mineurs. De cet article, on peut comprendre que la danse est donc une activité sportive et qu’elle est réservé strictement aux élèves mineurs des conservatoires. Cependant, l’article 8 de ce texte dispose que la pratique des activités dansantes est interdites dans les établissements recevant du public et dans les lieux publics, à l’exception des activités d’enseignement de la danse, des représentations artistiques et de la danse sportive ». L’ambiguïté est bien réelle, car les « activités d’enseignement de la danse » qu’il autorise, par exception à la règle, n’y sont définies ni en termes de type d’ERP, ni en termes de publics (mineurs ou adultes) !
Il est probable que ces confusions découlent de cette forme de double appartenance des conservatoires pour ce qui concerne leur catégorisation d’ERP, l’une relevant de l’enseignement « proprement dit » (et donc en homologie avec l’Éducation nationale), et l’autre pour les activités d’enseignement qui se déroulent dans les « Espaces divers, culture et loisirs » et qui conduit, par exemple, à interdire une activité telle que la danse aux adultes et non pas aux mineurs. Cette double appartenance se retrouve dans le décret du 16 octobre 2020 où les établissements d’enseignement artistique apparaissent à la fois dans les articles 35 et 36 — Titre 4 – Dispositions concernant les établissements et activités – chapitre 2 enseignements — et l’article 45 — Titre 4 – Dispositions concernant les établissements et activités – chapitre 5 –Espaces divers, culture et loisirs.
Terminons avec cette formulation assez fantaisiste que l’on trouve dans l’arrêté préfectoral du Rhône (article 5) : « Sont interdites toute diffusion de musique amplifiée sur la voie publique susceptible de conduire à des regroupements de personnes et toutes les activités musicales pouvant être audibles depuis la voie publique. » Est-ce à dire qu’il va falloir veiller à fermer les fenêtres des conservatoires… qu’on nous encourage par ailleurs à ouvrir pour limiter les risques de propagation du virus ?
Allez, courage à tous et toutes. Novembre sera (encore) compliqué pour nos conservatoires !
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- Décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire. Rappelons qu’au-delà d’un mois, la prorogation de l’état d’urgence doit être autorisée par la loi.
- « Même lors de la grande épidémie de choléra qui a balayé l’Europe à partir de 1832, on ne trouve pas trace de couvre-feu. On avait alors opté pour le cordon sanitaire : à l’entrée des villes, des barrières avaient été installées sous la responsabilité de l’armée pour contrôler voyageurs et marchandises sous la responsabilité de l’armée », explique l’historien Patrick Zylberman.
- Arrêtés imposant un couvre-feu : quelles sont les règles ?
- À l’exception des activités mentionnées à l’annexe 5 du décret n°2020-1262 du 16 octobre 2020, mais qui ne concernent pas les établissements d’enseignement artistique.
- I.- 1° de l’article 51 du décret n° 2020-1262.
3 Comments
Merci encore pour cet éclairage apporté par la lecture presque exhaustive de tous les arrêtés préfectoraux ! Quel courage !
PREVOT
Pas tous quand même, car il y en 54 !
😉
Nicolas Stroesser
Bonjour
Merci de nous avoir simplifié ces informations, et oui pas évident de s’y retrouver dans les arrêtés… maintenant on va voir ce que ça va donner avec le confinement qui va probablement être annoncé dès ce soir.
Sooba