28/02/2023
Certaines collectivités emploient des agents titulaires et peuvent être amenées à les solliciter de façon ponctuelle comme, par exemple, pour permettre aux enseignants de la filière culturelle de se produire dans le cadre d’une saison artistique portée directement par la collectivité, et ceci en dehors de leurs obligations de service. En effet, les établissements d’enseignement artistique, outre leur mission première d’éducation artistique et culturelle, prennent également part à la vie culturelle de leur aire de rayonnement.
Se pose alors la question de leur rémunération, étant entendu que cette activité artistique ne saurait être regardée comme constituant ni une obligation de service hebdomadaire leur incombant en application du statut particulier de leur cadre d’emplois, ni l’accessoire nécessaire d’une telle obligation, dès lors que ces concerts n’ont pas pour objet de permettre aux élèves des conservatoires et à leurs professeurs de pratiquer la musique en public pour valoriser l’enseignement dispensé (voir CE n° 307628 du 22 juin 2011).
Un contrat de droit privé
Dans un arrêt datant du 6 juin 2011, le Tribunal des conflits s’est prononcé sur la nature juridique du contrat par lequel une collectivité publique gérant un service public administratif est tenue d’engager un artiste du spectacle, en vue de sa participation à un spectacle vivant. En l’espèce, le professeur d’enseignement artistique employé par une collectivité territoriale qui effectuait des prestations musicales dans le cadre d’un festival organisé par celle-ci est bien lié, pour ces prestations, par un contrat de droit privé et non par un contrat de droit public.
Cet arrêt résulte d’une lecture combinée de plusieurs articles du Code du travail :
- Conformément à l’article Article L7121-3 du Code du travail (ancien article L. 762-1 alinéa 3 du Code du travail), « tout contrat par lequel une personne s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste du spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail dès lors que cet artiste n’exerce pas l’activité qui fait l’objet de ce contrat dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce et des sociétés. ».
- Aux termes de l’article 1-1 de l’ordonnance numéro 45-2339 du 13 octobre 1945 relatif aux spectacles, alors en vigueur1, « est entrepreneur de spectacles vivants toute personne qui exerce une activité d’exploitation de lieux de spectacle, de production de diffusion de spectacles, seul dans le cadre de contrats conclus avec d’autres entrepreneurs de spectacles vivants, quel que soit le mode de gestion, public ou privé, à but lucratif ou non, de ses activités » ;
- Enfin, que conformément aux article L. 7122-22 et L. 7122-23 , « les personnes physiques ou morales, publiques ou privées, qui n’ont pour activité principale ou pour objet ni l’exploitation de lieux de spectacles, de parcs de loisirs ou d’attraction, ni la production ou la diffusion de spectacles, sont tenues, lorsqu’elles exercent l’activité d’entrepreneur de spectacles vivants, de procéder aux déclarations obligatoires liées à l’embauche et à l’emploi sous contrat à durée déterminée d’artistes du spectacle mentionnés à l’article L. 762-1 du même code et au versement de l’ensemble des cotisations et contributions sociales, d’origine légale ou conventionnelle, prévues par la loi et se rapportant uniquement à leur activité de spectacle ».
La présomption de contrat de travail demeure dans un service public administratif
Il faut ici noter que cet arrêt reprend le principe traditionnel issu de la jurisprudence Berkani (Tribunal des conflits, 25 mars 1996, n° 03000), selon laquelle « sauf dispositions législatives contraires, les personnels non statutaires travaillant pour le compte d’un service public à caractère administratif géré par une personne publique sont des agents contractuels de droit public, quel que soit leur emploi ».
Le juge administratif considère ainsi que la présomption de salariat figurant à l’article L.7121-3 du code du travail constitue une disposition législative contraire au principe du caractère public des contrats liant un service public administratif à ses personnels, même si cette disposition visait sans doute d’abord à conférer un contrat de travail et donc la qualité protectrice de salariés à ceux qui pouvaient parfois être qualifiés de prestataires de service et donc placés dans une situation plus précaire et non à interdire la signature de contrats de droit public.
La participation en qualité d’artiste du spectacle d’un fonctionnaire à un concert organisé par son administration parait légalement envisageable même si elle suscite très souvent de fortes réticences
Les fonctionnaires et agents publics contractuels sont tenus de consacrer l’intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leurs sont confiées2. C’est le principe de l’interdiction de cumul d’emplois ou principe d’exclusivité qui vise à éviter que les agents publics ne négligent leurs fonctions publiques au bénéfice d’une autre activité professionnelle le cas échéant mieux rémunérée.
Pourtant, ce principe connait quelques dérogations relevant du régime de la déclaration ou de l’autorisation préalable. Ce dernier cas renvoie en particulier aux activités accessoires susceptibles d’être exercées par un agent public en sus de ses fonctions. L’enseignement artistique peut constituer l’une de ces activités accessoires3.
D’autres activités, comme la production d’œuvres de l’esprit,4 peuvent être exercées librement par les agents publics. L’interprétation d’une œuvre musicale par un artiste du spectacle semble parfaitement s’inscrire dans ce cadre dérogatoire et n’appelle donc de l’agent et de son employeur, ni autorisation, ni déclaration préalable.
Ce cumul ne pose aucune difficulté lorsqu’il est exercé auprès d’une autre entité que l’administration de l’intéressé. En revanche, lorsqu’elle relève du même employeur public, cette activité artistique parait contrevenir au principe selon lequel nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire et d’agent contractuel dans la même collectivité ou administration (CE, 23 février 1966, n° 64259 et CE, 13 novembre 1981, Syndicat national de l’éducation physique, n° 11564). Cette position du juge administratif vise bien sûr à protéger le statut de la fonction publique et la situation légale et réglementaire des fonctionnaires qui serait trop facilement détournée s’il était légalement possible de s’en affranchir en plaçant les intéressés en disponibilité ou en détachement et en leur proposant par ailleurs un contrat faisant prévaloir l’accord des parties.
Pour autant, on peut sérieusement s’interroger sur le bienfondé de la position tendant à opposer ce principe de l’interdiction du double statut (fonctionnaire et contractuel) dans une situation qui ne présente manifestement aucun risque de détournement visant à éluder l’application du statut de la fonction publique puisque l’intéressé demeure fonctionnaire en activité (pour l’exercice des fonctions d’enseignement artistique) et signe, en vertu de la loi, un contrat de travail pour participer en outre et ponctuellement à un concert organisé par son employeur.
De plus, on rappellera que la rémunération d’heures supplémentaires ne constitue qu’un pis-aller qui n’est guère satisfaisant car la nature de l’activité réalisée pendant des heures supplémentaires est en principe de même nature que celle réalisées pendant les heures normales de travail et ne saurait légalement avoir pour objet d’éviter la signature d’un contrat de travail dont la nature est prévue par la loi.
Article écrit en collaboration avec :
Sébastien COTTIGNIES
Avocat au barreau de Lyon
Spécialiste de droit public
Cet article est mis à disposition selon les termes de la licence http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/deed.fr (Attribution / Pas d’utilisation commerciale / Partage dans les mêmes conditions)