19/03/2022
m.à.j le 05/10/2022
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Mon dernier billet faisait état de l’apparition officielle du Diplôme national d’études de danse mention « interprétation », en lieu et place du Diplôme d’étude chorégraphique (DEC). La suite logique étant une modification à venir pour les deux autres spécialités que sont la musique et le théâtre. Voilà qui est chose faite ! Mais bien au-delà de l’ajout d’une seule lettre — le DEM devenant le « DNEM » et le DET devenant le « DNET » — , le texte qui vient d’être présenté à certaines organisations professionnelles par la DGCA remanie de façon très profonde les conditions d’organisation actuelles des DEM/C/T.
Une annexe à l’arrêté de classement de 2006
Le nouveau texte régissant le diplôme national (DN) dans les trois spécialités de la danse, de la musique et du théâtre constitue l’un des trois projets d’annexes de l’arrêté de classement du 15 décembre 2006. Un arrêté qui a subit quelques modifications en juillet 2021 et en août 20221 pour prendre en compte celles de l’article L.216-2 du code de l’éducation, suite à la loi LCAP de juillet 2016 avec, notamment, la disparition du cycle d’enseignement professionnel initial (CEPI) et l’abandon des diplômes nationaux d’orientation professionnelle (DNOP).
Telle est la conséquence du naufrage du volet « enseignements artistiques » de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales2. Cette loi, bien que n’opérant pas, stricto sensu, de nouveau transfert de compétences, venait confirmer l’initiative des collectivités territoriales au regard de l’enseignement artistique, tout en visant à une meilleure lisibilité des responsabilités de l’État et des collectivité vis à vis du financement des établissements d’enseignement artistique. Il s’agissait alors de tenter de rééquilibrer une charge financière qui, aujourd’hui encore, pèse à près de 80 %, voire davantage, sur les communes ou les EPCI. Mais comme le soulignait en 2009 Catherine MORIN-DESAILLY3, la loi de 2004 « a été porteuse d’une ambition louable en faveur des enseignements artistiques en clarifiant les compétences des collectivités publiques et les financements. Toutefois, alors que cette réforme a suscité de très fortes attentes chez les élèves et leurs parents, chez les professionnels ainsi que chez les élus, sa mise en œuvre est toujours « en panne », cinq ans après son adoption. » Il semble bien, hélas, qu’il en soit encore ainsi 18 ans après…
Des éléments disparates entre les 3 spécialités
Si l’annexe 3 portant sur les diplômes nationaux d’études artistiques englobe bien les trois spécialités et traite de façon très générique les principes d’organisation des épreuves terminales et de délivrance de ce diplôme, la déclinaison détaillée des épreuves que l’on trouve dans chacun des trois schémas respectifs (danse, musique et théâtre)4 fait apparaitre des disparités importantes qui ne manquent pas d’interroger et que l’on retrouvent, du reste, dans bien d’autres aspects des trois textes. Seraient-elles le résultat d’une rédaction séparée au niveau des trois délégations de la DGCA ? Un constat pour le moins surprenant, alors que le ministère de la Culture se fait si souvent le héraut de l’interdisciplinarité.
Le cadre général indique dans un premier temps que ce nouveau diplôme valide une pratique artistique consolidée, autonome et éclairée. Le texte ne dit rien d’une éventuelle inscription de ce diplôme au répertoire national des certifications professionnelles ni même d’un niveau correspondant à la classification interministérielle des qualifications professionnelles. Pour mémoire, les diplômes d’études musicales ou théâtrales (DEM/DET), bien que n’étant pas non plus reconnus dans ce classement, n’en constituent pas moins l’une des conditions de titre qui permet l’accès aux concours externes du 1er grade du cadre d’emplois des assistants territoriaux d’enseignement artistique. Ce nouveau DN se substituera-t-il aux DEM/DET qui sont des diplômes d’établissement ? Ce texte ne le précise pas de façon explicite.
Ce diplôme se décline par spécialités :
– Diplôme national d’études de danse (DNED) ;
– Diplôme national d’études de musique (DNEM) ;
– Diplôme national d’études de théâtre (DNET).
Outre la spécialité, l’intitulé du diplôme peut préciser une discipline, un domaine ou une dominante et une option ou mention. C’est ainsi que, pour la danse par exemple, il est fait état de deux mentions distinctes : Interprétation chorégraphique et Humanités chorégraphiques. Selon le schéma d’orientation danse, les élèves de ces deux mentions partagent les mêmes enseignements indépendamment de la mention choisie, sauf en troisième année où quelques petites différences apparaissent dans certaines matières, notamment au regard des coefficients de notation.
Il est délivré aux élèves ayant satisfait à l’évaluation continue au cours du cycle menant au diplôme national et à l’épreuve terminale devant jury. Celle-ci comporte une épreuve artistique qui se déroule en public. L’évaluation continue est décrite de façon très hétérogène dans les trois schémas nationaux d’orientation pédagogique des enseignements initiaux de la danse, de la musique et du théâtre qui constitueront l’annexe 1 de l’arrêté de classement des établissements.
Du côté de la danse, il est proposé un système de notation selon un barème de note compris entre 1 et 5 (notes entières) en lien avec les appréciations suivantes :
- Objectifs non atteints, niveau général insuffisant
- Certains acquis, mais niveau restant en deçà des exigences
- Des qualités et des acquis, niveau au minimum des exigences
- Bon niveau, satisfaisant à l’ensemble des exigences
- Excellent niveau
Chaque année donne lieu à six notes de contrôle continu. Chacune de ces notes correspond à une des matières constitutives du cursus et est construite comme une moyenne de notes trimestrielles ou semestrielles lorsque la matière correspond à des enseignements réguliers et de notes par module lorsqu’elle est dispensée par enseignements modularisés. Un système de coefficient vient pondérer les différentes matières et pour se représenter aux épreuves terminales, l’élève doit justifier d’une note de contrôle continu cumulée sur trois années d’au moins 106 points (correspondant à 3 x 70 = 210 / 2 = 105 + 1) [sic]. L’évaluation globale résulte de la somme de la moyenne, sur les trois années prises en compte, des notes pondérées d’évaluation continue avec les notes pondérées des épreuves terminales selon la mention choisie ! Sont déclarés reçus et se voient conférés le DNED les candidats ayant totalisé au moins 61 points sur le total de 120 résultant de la moyenne sur 70 points du contrôle continu et de la note sur 50 points des épreuves terminales (soit une répartition de 58 % pour le contrôle continu et de 42 % pour l’évaluation terminale). On n’ose imaginer les réactions des fournisseurs de logiciels métiers tels que DuoNet ou Imuse !
On a connu plus simple…
Du côté de la musique, les modalités de l’évaluation en vue de la délivrance du diplôme national d’études musicales doivent être définies par un arrêté spécifique, accompagné de ses annexes.
On a connu plus complet…
Du côté du théâtre, on retrouve un système de contrôle continu selon un barème de note compris entre 1 et 5 (notes entières), comme pour la danse, mais sans système de coefficients. S’ajoute un entretien avec le jury d’une durée de 20′ qui permet d’évaluer le candidat sur sa capacité à porter un regard critique sur son parcours de formation théâtrale, à expliciter ses choix artistiques et ses axes de travail dans le cadre du projet de création et à analyser ses prestations lors des épreuves finales.
La note de l’évaluation continue sur cinq est additionnée aux deux notes d’évaluation terminale afin d’obtenir une note finale sur quinze. Le diplôme national d’études de théâtre est délivré lorsque la somme des notes de l’évaluation continue et des deux notes de l’évaluation terminale du candidat est égale ou supérieure à huit sur quinze.
Enfin et toujours pour le théâtre, l’obtention du DNET est possible avec un passage des épreuves terminales en candidat libre. Quid alors de la note de contrôle continue ? Le projet de texte dispose que cette procédure de validation est confiée à une commission qui étudie le parcours des élèves souhaitant être candidats. Elle regroupe un représentant de l’administration de l’établissement concerné et le responsable pédagogique du département théâtre et décide de la recevabilité du dossier, puis attribue à l’élève une note d’évaluation continue.
On a connu plus simple, là aussi…
Des contraintes d’organisation importantes
Très attaché à encourager les conservatoires à travailler en réseau, le ministère conditionne désormais la délivrance du diplôme national à la mise en place, pour son épreuve terminale, d’un examen organisé au sein d’un groupement d’au moins deux établissements d’une même région et qui proposent un cycle menant au diplôme national dans la spécialité concernée. Dans le cas où il n’existe sur le territoire régional qu’un seul établissement proposant un cycle menant au diplôme national dans une spécialité, le groupement est organisé de manière interrégionale. Seuls la Corse et les territoires d’outre-mer pourront voir un établissement unique organiser ces épreuves terminales.
Il est fait mention dans le texte d’une mutualisation dont on pourrait espérer qu’elle soit source d’économies pour les collectivités concernées. Outre les réèlles difficultés logistiques qu’un tel regroupement entraine (déplacements des élèves, problématique des répétitions, …), les retours d’expériences en la matière montrent, au contraire, l’existence d’un surcoût qui n’est nullement compensé comme cela aurait dû être le cas dans le cadre de la loi de 2004 pour le DNOP venant sanctionner la fin du CEPI, et pour lequel les régions auraient dû bénéficier d’un transfert de crédits de l’État.
A-t-on pensé aux contraintes qui seront ainsi imposées aux parents qui devront accompagner leur enfant deux ou trois fois de suite en voiture au CRR ou CRD distant de 100 km, mais aussi aux enseignants qui les accompagneront sur place. À noter que pour être assurés, les enseignants devront déposer une demande d’ordre de mission, avec prise en charge par la collectivité des frais de déplacement, voire un décompte du temps de trajet dans leur temps de service5.
Les établissement se trouveront face à d’énormes difficultés en matière de responsabilité. En effet et comme le précise la note de service n°86-101 du 5 mars 1986 (BOEN), relative à l’utilisation des véhicules personnels des enseignants, le recours à l’utilisation des véhicules personnels pour transporter les élèves ne doit pas constituer une solution de facilité mais une mesure supplétive, utilisée en dernier recours, et donc exceptionnellement, en cas d’absence d’un transporteur professionnel ou de refus de celui-ci. De tels déplacements risquent donc d’être assimilés à des sorties scolaires et le déplacement des élèves — que ceux-ci soient mineurs ou majeurs ne change rien à l’affaire — devra donc être pris en charge par les établissements.
Le jury de ces épreuves terminale est composé de cinq personnes totalement étrangères aux établissements concernés :
– Le président, choisi sur une liste établie par le ministère chargé de la culture, et n’exerçant pas dans le groupement d’établissements ;
– Un directeur ou directeur adjoint d’établissement proposant le cycle menant au diplôme national dans la spécialité, extérieur au groupement d’établissements ;
Selon la spécialité du diplôme national d’études artistiques :
– pour la danse, deux enseignants PTEA ou titulaires du certificat d’aptitude compétents dans la spécialité, dont au moins un dans la discipline et ne présentant pas d’élève à la session d’épreuves ;
– pour la musique, deux enseignants PTEA ou titulaires du certificat d’aptitude, compétents dans la spécialité et la discipline, le cas échéant le domaine et l’option, et ne présentant pas d’élève à la session d’épreuves ;
– pour le théâtre, un enseignant PTEA ou titulaire du certificat d’aptitude, ne présentant pas d’élève à la session d’épreuves, et une personnalité qualifiée, compétents dans la spécialité et extérieurs au groupement d’établissements ;
– Une personnalité qualifiée relevant de la spécialité et extérieure au groupement d’établissements.
Ce jury pourra consulter le dossier des candidats mais ne pourra prendre connaissance des notes du contrôle continu qu’après la clôture des délibérations de l’évaluation terminale.
Le directeur du CRR ou du CRD n’est pas autorisé à siéger et donc n’aura pas de voix délibérative ! Une composition pour le moins surprenante quand on sait que les directeurs des CEFEDEM, CFMI et PESM ou leur représentant siègent aux épreuves terminales du DE, DUMI ou DNSP qui sont pourtant des diplômes de l’enseignement supérieur. Quid de la prise en charge financière de ce jury digne d’un concours d’accès à la fonction publique ?
Les établissements devant se regrouper pour l’organisation de ces épreuves terminales, une convention précisera les modalités d’organisation. Les établissements ont pour obligation d’établir la liste des candidats et de présenter à la direction régionale des affaires culturelles (DRAC)6 la liste des membres du jury pressentis pour validation au plus tard deux mois avant l’ouverture de l’épreuve. Il est même précisé que toute modification de la composition du jury par rapport à celle validée après transmission à la DRAC doit obtenir une nouvelle validation explicite de celle-ci.
Que ce soit pour la constitution du jury comme pour la validation de sa composition par la DRAC, cette annexe témoigne d’une profonde méconnaissance du fonctionnement des établissements d’enseignement artistique aujourd’hui. Prenant prétexte du caractère national de ce diplôme, la DGCA impose aux établissements et aux collectivités une « organisation » dont la gestion opérationnelle est tout simplement impossible à mettre en œuvre à moyens constants.
Mais peut-être faut-il ici rappeler que dans le projet initial de la de loi LCAP discutée au Parlement, seuls les enseignements préparant à l’entrée dans les établissements d’enseignement supérieur de la création artistique dans le domaine du spectacle vivant devaient être sanctionnés par un diplôme national. C’est par un amendement déposé par le gouvernement en commission mixte paritaire (CMP) qu’a été dissocié la délivrance du diplôme national du suivi des enseignements des classes préparatoires. Selon les termes même de cet amendement, il était « en effet essentiel de préserver la possibilité pour chaque conservatoire de délivrer un diplôme national, qu’il ait ou non une classe préparatoire. » tout comme était aussi indispensable le fait de « de garantir, à toute personne qui le souhaite, la possibilité de présenter ce diplôme qu’elle ait suivi ou non ces enseignements ».
Dans sa rédaction définitive, l’article L.216-2 du code de l’éducation dispose donc que les établissements « peuvent » délivrer un diplôme national. « peuvent » et non « doivent ».
De fait et au vu de cette invraisemblable organisation imposée par l’État, il n’est pas impossible que certaines collectivités ou équipes pédagogiques se résignent à ne plus délivrer ce diplôme pour ne s’en tenir qu’aux seuls certificats (CEM, CPC7 et CET), lesquels concernent la très grande majorité des élèves poursuivant au-delà du second cycle.
… Mais peut-être est-ce là le but recherché ?
Cet article est mis à disposition selon les termes de la licence http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/deed.fr (Attribution / Pas d’utilisation commerciale / Partage dans les mêmes conditions)
- Arrêté du 13 juillet 2021 modifiant l’arrêté du 15 décembre 2006 fixant les critères du classement des établissements d’enseignement public de la musique, de la danse et de l’art dramatique et arrêté du 9 août 2022 modifiant l’arrêté du 15 décembre 2006 modifié fixant les critères du classement des établissements d’enseignement public de la musique, de la danse et de l’art dramatique.
- Voir articles 101 et 102.
- Alors présidente de la commission Culture du Sénat.
- Schémas nationaux d’orientation pédagogique des enseignements initiaux de la danse, de la musique et du théâtre ; Projet d’annexe 1 de l’arrêté de classement.
- « La durée du travail effectif s’entend comme le temps pendant lequel les agents sont à la disposition de leur employeur et doivent se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ».
Article 2 du Décret n° 2000-815 du 25 août 2000.
Le temps de trajet d’un agent pour se rendre de son premier à un autre lieu de travail doit être regardé comme du temps de travail effectif dès lors que, durant ce laps de temps, l’agent est à la disposition de son employeur et ne peut vaquer librement à ses occupations personnelles. (CAA de Marseille, 7 mai 2013 – req 11MA00928). - ou, le cas échéant à la direction des affaires culturelles (DAC).
- Le schéma danse mentionne en effet ce Certificat de pratique continuée, en lieu et place de l’actuel CEC…
1 Comments
Ben dis donc… Il va nous falloir un décodeur ! Ou organiser un séminaire spécialisé ? Ho la la !
gagnat laurence