« Que tout change pour que rien ne change ! »

16 juillet 2019

Cette célèbre citation1 pourrait illustrer parfaitement le projet de révision des critères de certification des conservatoires sur lequel travaillent les services de la DGCA2 depuis un peu plus d’un an et dont la toute dernière version — certes encore provisoire — circule actuellement dans divers réseaux professionnels.

Le contexte général demeure identique à celui qui était décrit dans les tous premiers textes parus sur le sujet, et l’on pourra se reporter au billet du 10 janvier dernier pour s’en remémorer le contenu.

Cette réforme — qui n’en est en réalité pas vraiment une — résulte d’une part, de l’étonnant virage opéré par le ministère de la Culture au courant de l’année 2015 avec l’annonce de son retour dans le financement des conservatoires classés dont il s’était totalement retiré à partir de 20133 et, d’autre part, de la tension de plus en plus forte qui existe entre l’enseignement artistique spécialisé (EAS) et l’éducation artistique et culturelle (EAC).

En effet, si l’on se réfère à l’arrêté de classement du 15 décembre 20064, il existe une distinction clairement établie entre ces deux aspects qui constituent deux missions spécifiques et communes aux trois types d’établissements que sont les CRR, CRD et CRC/CRI5 :

Les missions communes aux trois catégories d’établissement sont les suivantes6 :

  • Des missions d’éducation fondées sur un enseignement artistique spécialisé […]. A cette fin, les établissements favorisent l’orientation des élèves tout au long de leur formation. Ils accompagnent leur projet et développent des collaborations entre spécialités artistiques, notamment lors des phases d’éveil et d’initiation ;
  • Des missions d’éducation artistique et culturelle privilégiant la collaboration avec les établissements d’enseignement scolaire, notamment dans le cadre d’activités liées aux programmes d’enseignement, de classes à horaires aménagés, d’ateliers, de jumelages, de chartes départementales de développement de la pratique chorale et vocale ou de dispositifs similaires en danse et en art dramatique ;
  • Des missions de développement des pratiques artistiques des amateurs, notamment en leur offrant un environnement adapté.

Cette distinction porte non seulement sur les contenus mais également sur les lieux et donc sur les publics concernés : internes à l’établissement d’enseignement artistique pour l’EAS et externes (mais « captifs » du milieu scolaire) pour ce qui relève de l’EAC avec, comme corolaire implicite que ces missions sont assurés par des professionnels aux profils distincts : professeurs ou assistants d’enseignement artistique pour l’EAS et musiciens intervenants (les « dumistes ») pour l’EAC.

Or, en 2016 et pour justifier de son retour dans le financement des conservatoires, le discours de l’État est tout autre. Pour le ministère, « l’enseignement artistique spécialisé est une composante fondamentale de l’éducation artistique et culturelle et un endroit essentiel pour la vitalité des pratiques artistiques et culturelles de nos concitoyens »7.

La distinction des missions (et des publics) s’est ainsi estompée, laissant place à une mission souveraine — l’éducation artistique et culturelle — dont l’enseignement artistique spécialisé n’est qu’une des composantes, bien que demeurant fondamentale. Cette formulation se retrouve pleinement dans le texte introductif de la réforme en cours sur les critères de certification : « Lieux dédiés à l’enseignement spécialisé, [les conservatoires] sont des acteurs fondamentaux dans la mise en œuvre de la priorité ministérielle donnée à l’éducation artistique et culturelle et à l’application concrète des droits culturels »

Sans aborder à ce stade la (très difficile) question des droits culturels8, force est de constater que si les établissements d’enseignement artistique ont, pour une très grande partie d’entre eux, profondément évolué depuis une vingtaine d’années, les évolutions se sont beaucoup plus faites dans le cadre des enseignements spécialisés que dans celui des pratiques artistiques et culturelles et, a fortiori, de l’éducation artistique et culturelle.

Rien d’étonnant à cela ! Les contenus de formation que proposent les établissements d’enseignements supérieur de la création artistique dans le domaine du spectacle vivant (Cefedem, PESM, etc.) restent d’abord et avant tout centrés sur la maîtrise de l’instrument (pour la musique) ou du corps (pour la danse) ainsi que sur la didactique des apprentissages spécialisés, conformément aux attentes du ministère de la Culture qui a lui-même en charge l’habilitation des maquettes proposées par ces établissements.

Là se trouve probablement le nœud gordien où se mêlent de façon apparemment inextricable ces deux volets de l’éducation artistique — enseignements techniques fondamentaux et ouverture culturelle sur le monde (pour faire court) et qui est à la source aujourd’hui d’une incompréhension majeure entre professionnels, les uns disant que les conservatoires ont profondément revisités leurs approches pédagogiques alors que les autres les renvoient inlassablement à l’image d’un « conservatoire élitiste et figé » ! Mais n’est pas Alexandre qui veut et tout porte à croire que les textes en préparation ne permettront pas, en l’état, de dénouer la situation.

Incompréhension des premiers, lesquels témoignent avec sincérité des énormes avancées en matière de pédagogie de groupe, de développement (dès le plus jeune âge) des pratiques collectives assorties d’activités de diffusion et d’animation du territoire, d’accès au spectacle vivant, de liens avec le milieu scolaire (CHAM/CHAD, S2TMD, OAE, IMS9) etc. face à un ministère qui leur parle du conservatoire de demain [qui] doit offrir une diversité de pratiques artistiques à travers des actions de sensibilisation, des projets collectifs et des parcours d’apprentissage diversifiés et [qui] doit être le creuset d’une culture commune et ouverte, à la croisée de la création, des répertoires et des patrimoines chorégraphiques, musicaux et théâtraux occidentaux comme extra-européens afin que tous ceux qui le souhaitent puissent y être accueillis et s’y réaliser.

Incompréhension des mêmes avec le texte de la réforme qui leur est aujourd’hui présenté et qui mentionne des « parcours d’études », des « parcours projets » ou des « offres d’approfondissements » dont ont voit mal en quoi ils consistent… sinon à caractériser l’offre actuelle de la plus grande partie des conservatoires qui repose sur des parcours découverte, des parcours en cycle, des parcours personnalisés et des parcours de pratiques collectives dans lesquels la notion de projet de l’élève est omniprésente. Il en va de même avec ce parcours d’études [?] qui comporte trois séquences (exploration, réalisation et approfondissement) et qui rappelle étrangement les actuels 1er, 2ème et 3ème cycles.

Incompréhension encore face à un système de classement qui se veut plus simple que le système actuel mais qui, outre le fait de rendre désormais obligatoire le choix de deux spécialités, se traduit par une succession de tableaux présentant (pour la musique et le théâtre en tout cas) une liste impressionnante de critères nécessaires à l’octroi de la certification ou de l’habitation et dont on se demande bien comment (…et par qui ? le service de l’Inspection compte en tout et pour tout 8 inspecteurs) ils seront évalués10?

Incompréhension toujours face à ce même système de classement qui semble réserver l’habilitation (2ème « grade » donnant accès au diplôme national) des établissements à certaines strates de population, tout en indiquant que le diplôme national constitue une des dimensions possibles des citoyens […] de demain. N’est-on pas citoyen lorsqu’on réside dans une commune de moins de 15 000 habitants ?

Incompréhension totale enfin pour ce qui concerne le diplôme national qui a fait son apparition dans la loi LCAP11 et qui rend donc caduque le diplôme national d’orientation professionnel (DNOP) délivré à l’issue du cycle d’orientation professionnelle (CEPI). Il en serait de même pour les diplômes d’études musicales, chorégraphiques et théâtrales (DEM/DEC/DET), — quoique pas tout à fait, puisque le texte indique que ceux-ci étant des diplômes d’établissement, ils pourront continuer à être délivré par les conservatoires qui le souhaitent !

Ces diplômes constituent pourtant les conditions de titre indispensables pour l’accès à l’enseignement supérieur tout comme pour le premier grade d’assistant d’enseignement artistique de la fonction publique territoriale. A cet égard, il conviendrait alors de revoir un certain nombre de textes réglementaires. Or, quand on sait qu’il a fallut près de 8 ans à la DGCL12 et à la DGCA pour se mettre d’accord sur un unique article modifiant le décret concours (voir billet du  8 mai 2017) pour enfin permettre l’organisation des concours pour le cadre d’emplois des ATEA13, on est en droit de s’interroger sur la possibilité de remettre en question le nouvel espace statutaire (NES) qui a fait l’objet d’âpres négociations avec les partenaires sociaux en 2008 dans le cadre de la restructuration des carrières de l’ensemble des fonctionnaires relevant de la catégorie B…

Une étude d’impact doit être conduite dans un délai particulièrement contraint — septembre 2019 à février 2020 — avec des collectivités territoriales volontaires (Normandie, Aveyron, Jura, Landes, Saint-Omer, Toulon, Strasbourg et la Réunion), sous réserve de leur accord encore non définitif à ce stade. C’est à l’issue de cette étude et en fonction des résultats que la mise en œuvre de cette révision sera (ou non) étendue à l’ensemble du territoire national courant 2020.

Un chantier à suivre de près, …à moins que rien de change, en définitive !


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  1. Elle est empruntée au roman « Le Guépard » de Giuseppe Tomasi di Lampedusa qui a donné lieu à la très belle adaptation cinématographie de Visconti.
  2. La Direction générale de la création artistique est un des services de l’administration centrale du ministère de la Culture.
  3. Voir Billet du 8 décembre 2015.
  4. Arrêté du 15 décembre 2006 fixant les critères du classement des établissements d’enseignement public de la musique, de la danse et de l’art dramatique (NOR: MCCB0600807A).
  5. Conservatoires à rayonnement régional, départemental, communal et intercommunal.
  6. Voir article 3 du décret.
  7. Note à l’attention de Mesdames et Messieurs les directeurs régionaux des affaires culturelles du 10 mai 2016.
  8. Selon la Déclaration de Fribourg de 2007, les droits culturels constituent « l’ensemble des références culturelles par lesquelles une personne, seule ou en commun, se définit, se constitue, communique et entend être reconnue dans sa dignité ». » Cette notion des droits culturels figure de façon explicite dans l’article 103 de la loi NOTRe (loi du du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République) : « La responsabilité en matière culturelle est exercée conjointement par les collectivités territoriales et l’État dans le respect des droits culturels énoncés par la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles du 20 octobre 2005. »
  9. Classes à horaires aménagés, série technologique Sciences et techniques du théâtre, de la musique et de la danse, orchestres à l’école, interventions en milieu scolaire.
  10. Bertrand MUNIN qui était présent le 23 février 2019 à la table ronde organisée par le Sénat en présence de Sylviane TARSOT-GILLERY, Directrice générale de la création artistique, évoquait la possibilité de solliciter les services déconcentrés de l’État (DRAC) pour cette mission tout en pointant que le suivi et la compétence des conseillers vis à vis des conservatoires se sont perdus avec le retrait financier de l’État, sans parler de l’impact déstabilisateur de la fusion des régions en 2015…
  11. Loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.
  12. Direction générale des collectivités locales
  13. Assistants territoriaux d’enseignement artistique.

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