30/06/2019
=> m.à.j du 5/07/19 (CMP)
Le Sénat vient d’adopter en première lecture le projet de loi de transformation de la fonction publique. Malgré les quelques points de désaccords subsistant ici ou là, députés et sénateurs devraient parvenir à s’entendre très prochainement sur un texte commun en commission mixte paritaire, en vue de son adoption définitive, d’ici fin juillet.
Une réforme insidieuse
Selon le gouvernement, ce projet de loi vise à donner « une nouvelle souplesse » à la fonction publique qui concerne aujourd’hui environ 5,5 millions agents publics1. Olivier Dussopt, le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Action et des comptes publics, se défend de toute remise en cause du statut proprement dit, ce qui et vu sous un certain angle, n’est pas tout à fait faux car les mesures prises en la matière portent principalement sur les conditions dérogatoires du recours aux agents contractuels. Si, de fait, le principe du recrutement statutaire reste « la norme », les conditions de recours aux agents contractuels sont, en revanche, moins restrictives et les amendements que proposent les sénateurs ne font que les élargir, notamment dans le versant de la fonction publique territoriale.
Le recours aux agents contractuels est régi par l’article 3 (alinéas 3.1 à 3.4 notamment) de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale. Cet article rappelle en premier lieu que les emplois permanents peuvent être occupés de manière permanente, par des agents contractuels par dérogation au principe énoncé à l’article 3 de la loi du 13 juillet 1983 et sous réserve de l’article 342 de la présente loi.
Pour mémoire, l’article 3 en question stipule que, « sauf dérogation prévue par une disposition législative, les emplois civils permanents de l’État, des régions, des départements, des communes et de leurs établissements publics à caractère administratif sont, à l’exception de ceux réservés aux magistrats de l’ordre judiciaire et aux fonctionnaires des assemblées parlementaires, occupés soit par des fonctionnaires régis par le présent titre, soit par des fonctionnaires des assemblées parlementaires, des magistrats de l’ordre judiciaire ou des militaires dans les conditions prévues par leur statut. »
Précision d’importance : les contrats pris sur le fondement de l’article 3.3 sont renouvelables (CDD) par reconduction expresse, dans la limite d’une durée maximale de six ans. Si, à l’issue de cette durée, ces contrats sont reconduits, ils ne peuvent l’être que par décision expresse et pour une durée indéterminée (CDI).
Analyse comparative
L’analyse comparative des différents alinéas de l’article 3.3 tel que rédigés dans la loi du 26 janvier 1984 avec les modifications proposées par l’Assemblée nationale et le Sénat permet de prendre la mesure de ces évolutions.
Rédaction actuelle de l’alinéa n°2 :
« Pour les emplois du niveau de la catégorie A, lorsque les besoins des services ou la nature des fonctions le justifient et sous réserve qu’aucun fonctionnaire n’ait pu être recruté dans les conditions prévues par la présente loi ; »
Nouvelle rédaction de l’alinéa n°2 :
« Lorsque les besoins des services ou la nature des fonctions le justifient et sous réserve qu’aucun fonctionnaire n’ait pu être recruté dans les conditions prévues par la présente loi ; »
Les sénateurs ont donc étendu à tout type d’emplois le recours au contrat. Initialement réservé aux agents de catégorie A, cet alinéa deviendrait donc applicable à l’ensemble des agents qui relèvent des catégories A, B et C. Il faut cependant noter que, jusqu’à présent, cette disposition n’était que très rarement mise en œuvre dans la filière de l’enseignement artistique, car l’employeur devait être en capacité de démontrer que l’emploi ainsi défini présentait bien une technicité effective, de par la nature même des fonctions exercées.
Selon les parlementaires, cet amendement vise à permettre aux collectivités publiques de recruter pour la durée d’un projet3 tous les agents susceptibles de contribuer à sa réalisation, quel que soit leur niveau de qualification. Les emplois susceptibles d’être pourvus par la voie du contrat de projet ne correspondent, disent les sénateurs, à aucun des emplois permanents qu’ont vocation à occuper les fonctionnaires appartenant aux corps ou aux cadres d’emplois des catégories A, B et C. L’extension de cette disposition aux agents de catégories B ne pourrait-elle pas conduire une collectivité à créer des postes d’enseignement « profilés » afin de valoriser la polyvalence (comme par exemple, musicien intervenant et enseignant un instrument donné) pouvant ainsi entrer dans le cadre de cette dérogation ?
Rédaction actuelle de l’alinéa n°3 :
« Pour les emplois de secrétaire de mairie des communes de moins de 1 000 habitants et de secrétaire des groupements composés de communes dont la population moyenne est inférieure à ce seuil ; »
Nouvelle rédaction de l’alinéa n°3 :
« Pour les communes de moins de 2 000 habitants et les groupements de communes regroupant moins de 15 000 habitants, pour tous les emplois ; »
=> Ajout de la CMP : « 3° bis Pour les communes nouvelles issues de la fusion de communes de moins de 1 000 habitants, pendant une période de trois années suivant leur création, prolongée, le cas échéant, jusqu’au premier renouvellement de leur conseil municipal suivant cette même création, pour tous les emplois ;
Dans ce cas particulier, le recours à un contractuel ne se limite plus au seul cadre d’emplois de secrétaire de mairie. Pour information, la France métropolitaine compte 30 019 communes de moins de 2000 habitants et près de 50% des communes nouvelles se situent en dessous du seuil de 2000 habitants4. S’il est très peu probable que les CRR5 et les CRD6 soient concernés par cette disposition au regard de la taille des communes concernées, certaines écoles municipale, voire certains CRC7 entrent bien dans cette strate de population.
Rédaction actuelle de l’alinéa n°4 :
« Pour les emplois à temps non complet des communes de moins de 1 000 habitants et des groupements composés de communes dont la population moyenne est inférieure à ce seuil, lorsque la quotité de temps de travail est inférieure à 50 % ; »
Nouvelle rédaction de l’alinéa n°4 :
« Pour les autres collectivités territoriales ou établissements mentionnés à l’article 2, pour tous les emplois à temps non complet lorsque la quotité de temps de travail est inférieure à 50 % ; »
C’est très probablement au travers de cet amendement que ce projet de réforme sera le plus impactant pour la filière de l’enseignement artistique. En effet, en faisant sauter le verrou du seuil du nombre d’habitants (1000) et compte tenu du nombre très important de postes à temps non complet dans les conservatoires, on voit mal ce qui retiendrait un maire ou un président de recourir à un agent contractuel. Comment ne pas exclure, qu’à la faveur d’un départ en retraite, le choix soit fait par cette même autorité territoriale de scinder en deux un poste à temps complet pour pouvoir entrer dans ce cas de figure ?
=> Tous ces articles ont été maintenus par la CMP
Enfin, l’ajout de l’article 3.8 qui n’existe pas dans le texte de 1984 ne fait que traduire, si besoin était, cet encouragement au recours à des agents contractuels :
« Au sein d’un même cadre d’emploi, le recrutement d’un agent contractuel sur des fonctions pour lesquelles un agent titulaire fait la demande d’occuper un emploi à temps plein intervient à titre complémentaire, sauf dans les situations où les besoins du service ou la nature des fonctions en cause le justifient et dans le respect des exigences d’organisation du service. »
=> Cet article n’a pas été maintenu par la CMP
Le périmètre d’élargissement du recours aux contractuels sera au cœur des discussions de la commission mixte paritaire (CMP) du 4 juillet prochain. Les arbitrages qui y seront effectués pèseront de tout leur poids sur le devenir de la filière de l’enseignement artistique.
Si l’article 10 du projet de loi, tel que modifié en première lecture par le Sénat, devait être adopté en l’état par la CMP — ce qui est très largement le cas (l’article porte le n°21 dans la rédaction définitive du projet de loi) —, la question de l’organisation et de la forme des concours d’accès pour cette filière ne se posera peut-être plus. Les collectivités locales auront alors le champ libre pour généraliser le recours aux agents contractuels en CDI dans la filière culturelle de l’enseignement artistique !
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- Répartis entre l’État (44%), les collectivités territoriales (35%) et les hôpitaux (21%).
- Les emplois de chaque collectivité ou établissement sont créés par l’organe délibérant de la collectivité ou de l’établissement. La délibération précise le grade ou, le cas échéant, les grades correspondant à l’emploi créé. Elle indique, le cas échéant, si l’emploi peut également être pourvu par un agent contractuel sur le fondement de l’article 3-3. Dans ce cas, le motif invoqué, la nature des fonctions, les niveaux de recrutement et de rémunération de l’emploi créé sont précisés. Aucune création d’emploi ne peut intervenir si les crédits disponibles au chapitre budgétaire correspondant ne le permettent.
- D’où cette dénomination spécifique de « contrat de projet ».
- Source : Insee, Recensement de la population. Population municipale en vigueur en 2018 (millésimée 2015).
- Conservatoires à rayonnement régional.
- Conservatoires à rayonnement départemental.
- Conservatoires à rayonnement communal.
1 Comments
Bel article qui donne la mesure de l’avenir de nos futurs collègues. Et quant à l’impact que cela aura sur l’éducation sociale et culturelle des futurs citoyens, je me demande si les législateurs en ont pris conscience! Partagé sur FB
Betremieux