Classes à horaires aménagés : scolarité gratuite ou payante pour les élèves ?

07/08/2023

Plusieurs collectivités maintiennent ou tentent de maintenir des droits d’inscription pour les élèves des classes à horaires aménagés (CHA), estimant que ces activités ne sont pas obligatoires et qu’elles ne s’inscrivent pas dans un cadre réglementaire établi en ce qui concerne leur financement. Nombreux sont les recours formés par des familles ou associations de parents d’élèves depuis de nombreuses années. Dans le dernier en date, le tribunal administratif de Strasbourg1 rappelle une nouvelle fois que la scolarité des élèves des classes à horaire aménagé est gratuite.

La gratuité de l’enseignement public : un principe intangible

Comme le souligne Bernard Toulemonde, Inspecteur général de l’Éducation nationale dans son rapport de 20022, « la gratuité de l’enseignement a été une patiente conquête, un idéal et un combat dans la construction de l’École de la République. C’est dire si ce thème reste un symbole puissant, intimement associé à la démocratisation de l’enseignement. Comme tous les symboles, il suscite volontiers les passions : on discute, on se dispute en son nom, surtout dans une période où le recours au droit et au juge tient lieu de régulation des rapports sociaux »

Inscrit dans la loi du 16 juin 18813, le principe de la gratuité de l’enseignement sera étendu au lycée à partir de 1930, aux classes préparatoires aux grandes écoles et à l’enseignement supérieur en janvier 1945, pour enfin figurer dans l’alinéa 13 du préambule de la constitution du 27 octobre 19464.

La gratuité de l’enseignement durant la période de scolarité obligatoire sera confirmée par la loi Haby (2015) et inscrite aux articles L.132-15 et L.132-26 du Code de l’éducation.

Des conservatoires principalement à la charge des collectivités territoriales

Les établissements d’enseignement artistique sont financés très majoritairement par les communes ou leurs regroupements7 avec l’aide, non systématique et variable, de l’État et des départements et, plus rarement, des régions.

Contrairement aux trois grands principes qui permettent de définir le service public – continuité, mutabilité/adaptabilité et égalité –, celui de la gratuité n’est pas un principe général régissant le fonctionnement des équipements publics. La jurisprudence a ainsi admis, dans un arrêt du 29 décembre 1997, s’agissant du conservatoire de musique de Gennevilliers qu’il constitue un service public municipal administratif à caractère facultatif dont la commune a pu rendre l’accès payant ; elle a même indiqué « qu’eu égard à l’intérêt général qui s’attache à ce que le conservatoire de musique puisse être fréquenté par les élèves qui le souhaitent,sans distinction selon leurs possibilités financières, le conseil municipal de Gennevilliers a pu, sans méconnaître le principe d’égalité entre les usagers du service public, fixer des droits d’inscription différents selon les ressources des familles« . Ainsi, une partie du coût de fonctionnement des conservatoires est répercutée sur les familles (entre 8% et 15% selon les établissements).

De son côté, l’État a fortement encouragé le développement de ces classes sur l’ensemble du territoire8, lesquelles entrent en ligne de compte lors de la procédure de classement des conservatoires par le ministère de la Culture. Pour mémoire, la décision d’ouverture des CHA appartient, pour le premier degré, à l’inspecteur d’académie, directeur des services départementaux de l’Éducation nationale (DSDEN), et pour le second degré, au recteur, après concertation avec le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale et avis du directeur régional des affaires culturelles9.

Des divergences d’analyse quant à la notion de gratuité

Eu égard au contexte budgétaire dégradé, certaines collectivités ne manquent pas de réduire ces classes à horaires aménagés à une simple question d’organisation d’emploi du temps des élèves concernés, leur permettant ainsi de suivre plus facilement une scolarité parallèlement au suivi d’une pratique artistique. Fortes de cette analyse, elles considèrent donc que ces élèves relèvent du droit commun et qu’ils doivent, selon le principe d’égalité, acquitter leurs droits de scolarité comme l’ensemble des autres élèves.

Le ministère de l’Éducation nationale rappelle quant à lui que « la gratuité porte sur l’ensemble des enseignements obligatoires et optionnels dispensés dans le cadre des programmes et horaires officiels, fixés réglementairement. En revanche, elle ne porte pas sur des activités supplémentaires, hors programmes, facultatives, offertes à l’initiative de l’établissement »10.

La question posée est donc de savoir si ces enseignements correspondent à la norme « standard », fixée par les textes réglementaires de l’Éducation nationale, ou s’ils peuvent recouvrir des normes particulières, ne relevant pas de la seule initiative de l’établissement scolaire ? Il faut ici souligner l’absence de texte à caractère réglementaire précisant les conditions de financement de ces classes spécifiques. Aucune mention de ce type ne figure dans l’arrêté du 31 juillet 2002 portant sur l’ouverture de ces classes ou dans la circulaire interministérielle du 2 août 2002, avec pour conséquence des interprétations divergentes des obligations respectives en matière de financement.

Bien que toutes les juridictions administratives saisies depuis plus de 20 ans (Versailles, Bordeaux, Nantes, Strasbourg, Lyon, …) ont admis que les élèves de ces classes devaient bénéficier de la gratuité de la totalité de l’enseignement qui leur était dispensé, certaines collectivités tentent de faire valoir que l’enseignement artistique qu’elles dispensent représente pour elles une charge qui ne devrait pas leur incomber, mais être à la charge de l’État.

C’est ainsi que la commune de Rouen a contesté la prise en charge financière des enseignements artistiques dispensés dans son conservatoire dans le cadre du dispositif des CHA en soutenant que, du fait de leur caractère obligatoire et bien que dispensés par des personnels des conservatoires, ces enseignements étaient, certes, soumis au principe de gratuité, mais qu’ils devaient être pris en charge intégralement par l’État.

Se fondant sur les dispositions des articles L. 132-1 et L. 312-6 du code de l’éducation ainsi que sur celles de l’arrêté du 31 juillet 2002 relatif aux classes à horaires aménagés pour les enseignements artistiques renforcés destinés aux élèves des écoles et des collèges, la cour administrative d’appel de Douai a d’abord rappelé que l’enseignement artistique renforcé dont bénéficient les élèves des CHA est organisé dans le cadre de la scolarité obligatoire. La cour a ensuite jugé que, même s’il est dispensé avec le concours des conservatoires et des écoles de musique gérés par les collectivités territoriales qui font le choix d’organiser une telle formation, cet enseignement doit respecter le principe de gratuité, sans pour autant que l’État ait à en assumer la charge financière. En effet, s’agissant en particulier des enseignants des conservatoires, agents de la fonction publique territoriale qui dispensent les enseignements artistiques, ceux-ci ne font partie ni du personnel enseignant des écoles élémentaires et des écoles maternelles, ni du personnel exerçant dans les collèges ou lycées au sens de l’article L. 211-8 du code de l’éducation définissant les personnels enseignants dont l’État a la charge de la rémunération.

Prenant acte de cette décision, la Ville de Rouen a alors demandé au rectorat le remboursement de la rémunération des enseignants du conservatoire ayant assuré des activités musicales et chorégraphiques pour des élèves de classes à horaires aménagés, posant une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) tirée de ce qu’en mettant à la charge de collectivités publiques autres que l’État les dépenses issues de l’inscription au conservatoire des élèves des classes à horaires aménagés, la combinaison des dispositions des articles L. 132-1, L. 132-2 et L. 211-8 du code de l’éducation méconnaît les articles 34, 72 et 72-2 de la Constitution et le treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. Le conseil d’État a décidé qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel cette QPC car la commune de Rouen ne soulève pas une question sérieuse, au sens de l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 et qu’elle n’étaye pas suffisamment son argumentation sur les motifs d’inconstitutionnalité,11.

Confirmation du principe de gratuité

Dans sa décision du 16 mars dernier, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé un titre exécutoire émis par la ville de Colmar tendant au paiement de droits d’inscription par un parent d’élève.

Une nouvelle fois, le juge administratif relève que « l’enseignement musical spécialisé dont bénéficient les élèves des classes à horaires aménagés constitue un enseignement obligatoire, assuré dans le cadre de la scolarité de ces élèves, dont le contenu et les horaires sont d’ailleurs fixés par le ministre de l’éducation nationale, alors même qu’il est dispensé avec le concours des conservatoires de régions ou des écoles municipales de musique contrôlées par l’État. […] Il ajoute que « la commune de Colmar ne saurait utilement se prévaloir de ce que la charge de ces frais de scolarité serait de nature à porter atteinte aux principes constitutionnels de libre administration et d’autonomie financière des collectivités territoriales. »


Cet article est mis à disposition selon les termes de la licence http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/deed.fr (Attribution / Pas d’utilisation commerciale / Partage dans les mêmes conditions)

  1. TA Strasbourg, 4e ch., 16 mars 2023, n° 2105356.
  2. La gratuité de l’enseignement, passé, présent et avenir, 1er trimestre 2002.
  3. « Il ne sera plus perçu de rétribution scolaire dans les écoles primaires publiques, ni dans les salles d’asile publiques ».
  4. La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État
  5. « L’enseignement public dispensé dans les écoles maternelles et les classes enfantines et pendant la période d’obligation scolaire définie à l’article L131-1 [de 6 à 16 ans] est gratuit ».
  6. « L’enseignement est gratuit pour les élèves des lycées et collèges publics qui donnent l’enseignement du second degré, ainsi que pour les élèves des classes préparatoires aux grandes écoles et à l’enseignement supérieur des établissements d’enseignement public du second degré.»
  7. « Les communes et leurs groupements organisent et financent les missions d’enseignement initial et d’éducation artistique de ces établissements. Les autres collectivités territoriales ou les établissements publics qui gèrent de tels établissements, à la date de publication de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, peuvent poursuivre cette mission […]. », article L.216-2 du Code de l’éducation.
  8. La circulaire n°2008-059 du 29 avril 2008 (DGESCO) préconisait de multiplier par 4 le nombre de ces classes à échéance de quatre ans !
  9. Article 2 de l’arrêté 31 juillet 2002 sur les classes à horaires aménagés pour les enseignements artistiques renforcés destinés aux élèves des écoles et des collèges.
  10. B. Toulemonde in Rapport cité, p.10
  11. Conseil d’État, 4ème – 1ère chambres réunies, 22/02/2019, 426064, Inédit au recueil Lebon.

1 Comment

  • Un grand merci Nicolas pour cet article précis. Combien de CHA déjà fermées ou qui fermeront en raison du cout trop élevé pour les collectivités?…
    Sylvie

    CHABERT Sylvie
    Posted 22 août 2023 at 9h17

Laisser un commentaire