Conservatoires : la crise n’est pas que financière !

Article parue dans le journal La Croix (28 avril 2015)

La presse quotidienne et la presse spécialisée se sont fait dernièrement l’écho des difficultés rencontrées par les conservatoires à la suite de la suppression en 2015 de l’aide financière que leur apportait jusqu’alors l’État.

Rappelons tout d’abord que ce soutien financier ne concernait que 142 conservatoires « classés » et qui font l’objet d’une reconnaissance spécifique au regard de la qualification des enseignants et de leur offre pédagogique, laquelle concerne 300 000 élèves environ. La suppression de cette aide – un « redéploiement » effectué au bénéfice de sa politique d’éducation artistique et culturelle, selon le ministère de la culture – fait suite au naufrage d’une partie de la loi relative aux libertés et responsabilités locales d’août 2004, qui avait pour but premier de clarifier la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités en matière d’enseignement artistique.

Pour autant et par-delà son impact relatif – les subventions versées par l’État représentant en moyenne entre 4 et 6 % du fonctionnement des structures labellisées –, un tel recul est ressenti par bon nombre de responsables de conservatoires comme un désaveu cinglant de la politique culturelle qu’ils contribuent à mettre en œuvre et comme la remise en cause profonde d’un réseau d’établissement unique en son genre en Europe. Ce réseau est le fruit d’une politique culturelle volontariste conduite par l’État à partir des années 1970 grâce à l’action de Marcel Landowski et de Maurice Fleuret, qui furent tous deux directeurs de la musique au ministère de la culture. On leur doit un maillage territorial de grande ampleur qui comprend aujourd’hui, outre les établissements classés, près de 3 500 structures municipales et associatives accueillant 1 500 000 élèves et dont le financement repose principalement sur les communes ou leurs regroupements, ainsi que sur les usagers.

À n’en pas douter, les élus locaux ne manqueront pas de voir dans ce retrait, la légitimation de leur propre désengagement auprès de ces structures, lequel s’inscrit à son tour dans celui de l’État qui annonce 3,7 milliards de dotations en moins pour 2015 !

Mais derrière les contraintes financières surgit la critique d’un modèle historique qui ne semble plus répondre aux attentes et aux désirs, ni du public, ni des élus. Ces derniers, constatant l’écart persistant entre ce qu’est effectivement leur conservatoire et ce qu’il serait souhaitable qu’il soit, ne manquent pas de s’interroger sur la légitimité d’une telle dépense, surtout lorsqu’elle est mise en regard du nombre d’élèves concernés directement et de leur origine sociale.

Pour les parents, la critique porte le plus souvent sur une organisation qui emprunte beaucoup à la forme scolaire, véritable norme sociale qui présuppose un contrat didactique entre enseignants et élèves, le plus souvent associé à l’excellence instrumentale et à des critères d’évaluation perçus comme décalés par rapport à une attente initiale qui se trouve « d’abord » du côté du loisir et de l’émancipation culturelle.

Les élèves eux-mêmes sont plus en attente de « pratique et d’accompagnement » que d’un apprentissage de type académique. L’omniprésence du numérique modifie profondément leur rapport aux pratiques culturelles préexistantes (lecture, écoute musicale, pratiques artistiques) et au savoir. Aujourd’hui, ce sont bien souvent les enfants et les adolescents qui innovent et expérimentent, remettant ainsi profondément en cause un mode de transmission verticale entre des adultes ne pouvant plus tout connaître et des enfants – les sciences cognitives le démontrent – qui n’ont plus la même tête.

Au milieu, les enseignants avec, d’un côté ceux pour qui cette remise en cause du modèle est d’autant plus difficile à accepter que c’est à lui qu’ils doivent leur réussite professionnelle et, de l’autre, ceux qui ont compris que le contexte générationnel a profondément changé ces vingt dernières années et qu’il ne s’agit plus d’enseigner uniquement à des élèves dotés du « bon » capital culturel et à qui était assigné d’office une bien étrange propriété, le désir de musique ! L’élargissement du public des conservatoires entraîne une diversification des modes d’accès, des pratiques et des apprentissages qui lui sont proposés.

Aussi, il est plus que temps pour l’État de retrouver et de reprendre son rôle quant à la définition des qualifications et formations exigées des personnels de ces établissements, l’élaboration par voie réglementaire d’un schéma d’orientation pédagogique qui leur est applicable et l’affirmation de choix politiques clairs dans le domaine de la formation supérieure et continue.

Tel était le sens du titre IV «  Former, enseigner l’art et sa pratique » du projet de loi sur la création artistique (Lorca) dans sa première version et dont on ne peut que déplorer la disparition dans le nouveau projet de loi relative à la liberté de création, l’architecture et le patrimoine qui devrait être présenté au Parlement au premier semestre de l’année 2015.

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