Les incidences de la loi du 13 août 2004 sur les établissements publics d’enseignement artistique

1. L’action culturelle des communes, une compétence déjà ancienne

L’action culturelle constitue depuis de très nombreuses années un domaine partagé entre l’État et les collectivités locales.

Dès le XIXe siècle en effet, des villes, grandes et moyennes, ont pris l’initiative d’administrer et financer elles-mêmes des équipements culturels. A partir des années 1960-1970, elles ont été suivies par des communes de tailles plus modestes désirant également conduire des politiques culturelles ambitieuses dans des domaines aussi variés que la conservation et l’animation du patrimoine, la création et la diffusion du spectacle vivant, la promotion du livre et de la lecture ou des enseignements artistiques.

Mais si leurs interventions dépendaient alors de leur seule volonté politique, les modalités de mise en œuvre des politiques culturelles étaient, en revanche, soumises au pouvoir réglementaire de l’État.

2. 1982 : confirmation de la compétence culturelle des collectivités locales

Les premières lois de décentralisation de 1982 et 1983 sont venues confirmer le rôle culturel des collectivités locales. L’Etat les y a encouragé grâce à l’appui des Directions régionales des affaires culturelles (DRAC). En matière d’enseignement artistique, la loi du 22 juillet 1983 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, précise que les établissements d’enseignement public de la musique, de la danse et de l’art dramatique relèvent de l’initiative et de la responsabilité des collectivités territoriales.

Cet article de loi ne fait alors qu’entériner une situation existante. En effet, la majeure partie du financement de ces établissements était déjà assurée par les communes ou leur regroupement ainsi que, dans une moindre mesure, par les départements et les régions.

Il faut souligner que lors de l’adoption de ces premières lois, l’ensemble des compétences culturelles n’a pas fait l’objet d’une répartition entre les différents niveaux de collectivités que sont les communes, les départements et les régions. Seuls les bibliothèques centrales de prêts et les services d’archives ont été alors transférés spécifiquement aux départements.

Il s’en suivit depuis un mode d’action publique et de développement fondé sur la coopération entre l’Etat et des collectivités locales prenant une part de plus en grande dans le financement de la culture. La multiplicité des acteurs, le nombre important de dispositifs mis en place par les collectivités territoriales ainsi que leur forte imbrication ont généré au fil du temps une situation complexe, parfois source de redondance, que le législateur a souhaité éclaircir par la mise en œuvre d’une nouvelle loi.

3. 2004 : des missions propres à chaque collectivité

La loi du 13 août 2004 permet avant tout de clarifier la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités en matière d’enseigne­ment artistique.

Ainsi, les missions d’enseignement initial et d’éducation artistique relèvent de la responsabilité des communes et de leurs groupements. Les départements sont chargés d’élaborer un schéma dépar­temental de développement des ensei­gnements artistiques. Il appartient aux régions d’organiser et de financer le cycle d’enseignement professionnel initial.

La loi rappelle ensuite les missions premières des établissements publics d’enseignement artistique, à savoir dispen­ser un enseignement initial, sanctionné par des certificats d’études, qui assure l’éveil, l’initiation, puis l’acquisition des savoirs fondamentaux nécessaires à une pratique artistique autonome. Ils participent égale­ment à l’éducation artistique des enfants d’âge scolaire. Certains établissements ont la possibilité de proposer un cycle d’enseignement professionnel initial (le CEPI), sanctionné par un diplôme national (le DNOP).

Le texte prévoit les modalités de transfert aux départements et aux régions des crédits jusqu’alors consacrés par l’État au fonctionnement des Conservatoires nationaux de région et des Écoles nationa­les de musique, de danse et de théâtre.

L’État conserve la tutelle pédagogique sur les établissements publics, la responsa­bilité des procédures de classement et d’évaluation et définit les qualifications exigées pour le personnel enseignant. Il conserve également la tutelle et le finan­cement des établissements supérieurs d’enseignement artistique (CNSMD).

4. CEPI et DNOP

Divers textes à caractère réglemen­taire (décrets et arrêtés) sont venus préciser les conditions d’application de cette loi de décentralisation.

Le décret du 16 juin 2005

Ce décret instaure un cycle d’enseignement professionnel initial de musique, de danse et d’art dramatique destiné à approfondir la motivation et les aptitudes des élèves en vue d’une orientation professionnelle. Ce cycle est accessible aux élèves ayant achevé le second cycle des conservatoires classés tel que défini par les schémas nationaux d’orientation pédagogique et aux personnes présentant un niveau équivalent.

L’admission des élèves est décidée par un jury après étude du dossier personnel du candidat et réussite de l’examen d’entrée.

L’enseignement délivré durant ce cycle d’étude doit permettre à l’élève d’acquérir le savoir-faire nécessaire à une pratique artistique confirmée et une culture musicale, chorégraphique ou théâtrale.

Il débouche sur l’obtention du Diplôme national d’orientation professionnelles en danse, musique ou théâtre (DNOP). Les premiers DNOP seront délivrés à partir de l’année 2009.

Les trois arrêtés du 23 février 2007

Ces trois textes précisent les conditions d’accès au cycle d’enseignement profes­sionnel initial, l’organisation des cursus et les modalités d’évaluation ainsi que les conditions d’obtention du diplôme terminal dans chacune des trois spécialités (danse, musique et théâtre).

L’accès au CEPI se fait sur examen devant jury. Il est organisé par l’établissement ou le réseau d’établissements concernés. Les arrêtés établissent les épreuves pour chaque spécialité.

La durée, le volume horaire et les contenus d’enseignement et de pratique font l’objet d’une description détaillée.

Pour la musique, la durée du CEPI est comprise entre deux et quatre années et représente un volume global d’enseigne­ment de 770 heures. Le cycle d’étude pour la danse est de même durée (2 à 4 ans) et totalise un volume horaire de 1024 heures de cours et ateliers. Pour le théâtre, ce cycle a une durée comprise entre deux et trois années pour un volume global de 1056 heures d’enseignement. Chaque arrêté établit l’ensemble des contenus et matières enseignées qui devront obliga­toirement être proposés par les établisse­ments souhaitant délivrer les DNOP.

Enfin, les modalités d’évaluation sont établies pour chaque spécialité sur la base d’un contrôle continu effectué par les établissements et d’une épreuve instru­mentale, chorégraphique ou théâtrale devant un jury régional, garante d’une équivalence de niveau sur l’ensemble du territoire national.

5. CRR, CRD et CRC…

Parallèlement à ces réformes pédagogiques, les critères de classe­ment et les modalités de contrôle des établissements publics ont été revus et nouvellement codifiés.

Le décret du 12 octobre 2006

Ce décret précise les modalités générales de classement des établissements d’enseigne­ment artistique selon trois catégories. Les anciennes appellations de Conservatoire national de région (CNR), Ecole national de musique et de danse (ENMD) et École de musique municipale agréée (EMMA) cèdent la place à celles de Conservatoire à rayonnement régional, départemental et communal (ou intercommunal).

L’arrêté du 15 décembre 2006

Ce texte fixe les missions communes aux trois catégories d’établissements et indique que le classement s’effectue au regard de critères d’ordre structurels, pédagogiques et artistiques : degré de rayonnement terri­torial de la structure, nombre de spécialités et disciplines enseignées, qualification du corps enseignant, existence de dispositifs en lien avec l’Éducation nationale, lieu ressource pour la pratique amateur, importance et état des locaux, (…).

Trois missions sont communes à tous les établissements :

  • Des missions d’éducation fondées sur un enseignement artistique spécialisé organisé en cursus ;
  • Des missions d’éducation artistique et culturelle privilégiant la collaboration avec les établissements d’enseignement scolaire ;
  • Des missions de développement des pratiques artistiques des amateurs.

Tous ces établissements participent également à la vie culturelle locale au tra­vers de la diffusion des productions liées à leurs activités pédagogiques et l’accueil d’artistes. Ils entretiennent des relations privilégiées avec les organismes chargés de la création et de la diffusion.

Enfin, le texte détaille l’ensemble des missions et obligations propres à

chaque catégorie d’établissement de telle sorte que plus l’aire de rayonnement est importante, plus l’établissement doit être en mesure de proposer ou de garantir un nombre élevé de disciplines artistiques. Ainsi, la pré­sence d’au moins deux spécialités (parmi la danse, la musique et le théâtre) est nécessaire à l’obtention du label de Conservatoire à rayonnement départemental. De son côté, un Conservatoire à rayon­nement régional doit être en mesure de proposer pour les trois spécialité un cursus complet comprenant le troisième cycle de formation des amateurs et le cycle d’enseignement professionnel initial. Le nombre des disciplines et d’esthétiques représentées est également fonction du niveau de classement, de même que la mise en place des cours complémentaires indispensables au CEPI.

Le texte précise cependant que pour garantir tout ou partie du cycle d’en­seignement professionnel initial, les Conservatoires à rayonnement dépar­temental ou régional peuvent conclure des conventions réciproques ou avec des Conservatoires à rayonnement commu­nal ou intercommunal, des établissements d’enseignement reconnus ou tout autre personne morale de droit public ou de droit privé exerçant une activité d’enseignement, de création ou de diffusion

La charte de l’enseignement artistique spécialisé

La charte, qui date de 2001, définit les missions pédagogiques et artistiques mais aussi culturelles et territoriales des struc­tures d’enseignement artistique spécialisé. En avance sur les textes de loi qui suivi­rent, elle mentionnait déjà quatre objectifs fondamentaux pour les établissements : la formation des mu­siciens, danseurs et comédiens sans préjuger de leur pratique future (en amateur ou professionnelle), la diversification des esthétiques représen­tées, l’articulation des lieux d’enseignement à la vie culturelle locale et enfin, le partenariat avec l’Éducation nationale.

Un vade-mecum pour les départements et un mémento pour les régions

La loi d’août 2004 fixe comme condition de transfert des crédits aux départements et aux régions l’adoption d’un schéma de développement des enseignements artistiques spécialisés pour les dépar­tements et d’un plan de développement des formations professionnelles pour les régions.

Le vade-mecum constitue le premier des outils méthodologiques proposé par le ministère de la Culture pour la définition et à la mise en œuvre des schémas dépar­tementaux. Après avoir défini ce qu’est un schéma de développement et quels sont ses finalités et objectifs, le vade-mecum décrit la stratégie globale de mise en œuvre, de la conception à la réalisation et au suivi du dispositif.

Les régions étant désormais chargées de l’enseignement professionnel initial, la loi indique qu’elles doivent compléter leurs plans de développement des formations professionnelles (PRDF) pour leur partie consacrée aux jeunes par un volet relatif à ce cycle terminal proposé par les conservatoires.

Le mémento pour l’élaboration du volet CEPI constitue le second outil métho­dologique élaboré par la Direction de la musique, de la danse du théâtre et des spectacles (DMDTS). Il préconise la mise en place d’instances de concertation (cellule technique, commission régionale) ainsi que le recrutement d’un(e) chargé(e) de mission responsable de l’organisation de ce transfert de compétence.

Très attendu des conservatoires, le nou­veau schéma d’orientation pé

dagogique pour la musique viendra s’ajouter à ceux de la danse et du théâ­tre. Outils d’accompa­gnement de la réflexion mis à disposition des équipes de direction et d’enseignants, ces textes confirment l’or­ganisation des études mises en œuvre ces dernières années (cycles, cursus, évaluation) tout en encourageant le développement de nouvelles alternatives pédagogiques afin de mieux prendre en compte la diversité des publics. Les établissements sont ainsi invités à développer, pour le deuxième cycle et le troisième cycle, des cursus plus souples basés sur une contractualisation avec les élèves concernés. De même, les démarches d’invention et de création sont très largement encouragées ainsi que l’ouverture vers d’autres esthétiques. Le ministère de la Culture souhaite que les établissements publics dont il assure le contrôle pédagogique puissent permettre à leurs élèves d’exercer une écoute et un regard critiques sur les expressions artistiques d’aujourd’hui et contribuer ainsi à réduire les risques de dérives observés dans le secteur marchand de la culture où priment souvent des habitudes de consommation passive.

Le document devrait paraître d’ici quelques mois.

6. Une loi attendue, mais source d’interrogations

Cette nouvelle étape de la décentralisa­tion redessine profondément les relations entre les collectivités publiques et l’Etat. En dépassant un mode de relation bilatérale entre L’État et les collectivités, d’une part, et les professionnels et le ministère de la Culture, d’autre part, la loi donne à la concertation entre tous ces partenaires un rôle déterminant pour la réussite de sa mise en œuvre.

Le cahier des charges proposé aux établis­sements d’enseignement artistique dans les décrets et arrêtés de classement vient confirmer l’évolution sensible des missions des conservatoires observée ces dernières années notamment dans le domaine de l’éducation culturelle et le développement de la pratique en amateur.

Le déplacement du centre de gravité des politiques culturelles en faveur des terri­toires montre que ceux-ci sont désormais perçus comme une construction raison­née des partenaires où s’entrecroisent, dans un cadre géographiquement et historiquement circonscrits, des relations à la fois économiques, sociales, culturelles et politiques.

Ces évolutions ne vont pas sans leur lot d’incertitudes et d’inquiétudes : gageons qu’elles ne freineront pas l’enthousiasme des acteurs qui prévaut sur le terrain et que la concertation que l’on voit aujourd’hui se développer entre tous les profession­nels sauront apporter progressivement les réponses aux nombreuses questions posées par la mise en œuvre de cette nouvelle loi.

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